Pouvez-vous nous présenter l'association, ses missions et son histoire ?
Retour d'image, c'est une association qui existe depuis maintenant 20 ans. Elle a été créée en 2003 par un collectif de professionnels du cinéma, d'artistes, professionnels de la culture, pour la plupart en situation de handicap. La volonté de ce collectif, c'était d'apporter une réflexion sur la façon dont le handicap est représenté au cinéma, que ce soit dans les films ou dans les métiers de cinéma. Dès les premières années, l'association s'est faite connaître par un festival, qui a été le premier festival de films en France sur le thème du handicap.
Aujourd'hui, on travaille sur trois principaux volets.
Le premier, c'est le travail de programmation de films, qui s'inscrit dans la continuité de l'historique du festival. Avec la particularité que ce sont des films qui traitent de la thématique du handicap. Ce sont des films qu'on présente en version adaptée, version audio décrite, version sous-titrée SME (spécialement conçue pour les personnes sourdes ou malentendantes, incluant des descriptions sonores en plus des dialogues parlés).
On se concentre plus sur la programmation et si vraiment il y a des films qui nous intéressent, qui présentent un intérêt pour notre programmation, mais qui ne sont pas accessibles. On va essayer de voir avec la production, avec les distributeurs, voir s'il y a des possibilités pour eux de le faire. C'est vrai qu'aujourd'hui, c'est plus rare qu'on produise les versions adaptées parce que ça nécessite un budget et puis aussi, on considère qu'il y a d'autres structures dont c'est vraiment le cœur d'activité, notamment les laboratoires de post-production ou d'autres structures qui travaillent vraiment sur ce domaine.
On préfère à ce moment-là mettre en lien les productions avec ces structures plutôt que de le faire nous-mêmes directement. Mais ça a pu arriver encore récemment sur des films qui sont sur des économies un peu plus complexes, qui ne peuvent pas bénéficier des aides, d'essayer de monter un financement pour que ces films aient des versions adaptées. Ce sont des films qu'on choisit.
La particularité de Retour d'image, c'est qu'on est sur une programmation avec un regard situé, c'est-à-dire du point de vue de personnes en situation de handicap qui nous accompagnent dans les choix de films. Nous avons un comité de visionnage qui est composé de professionnels du cinéma avec différents types de handicaps.
Il faut qu'ils plaisent à la majorité du groupe, mais il y a quand même des critères.
Les principaux critères sont la façon dont leur handicap est mis en scène, la façon dont il est abordé, dans quelle mesure cela peut être une bonne matière à débat, et l'intérêt cinématographique du film.
Il ne s'agit pas de programmer un film uniquement parce qu'il y a la question du handicap. Il y a aussi cette dimension cinématographique qui nous tient à cœur. Ça, c'est le volet programmation.
Une fois qu'on a sélectionné des films, ils sont inscrits dans notre catalogue qui est une liste thématique que l'on retrouve sur notre site internet dans notre rubrique ressources. Évidemment, on va privilégier aussi des films qui disposent de versions accessibles. Une fois qu'il est inscrit au catalogue, c'est un film qu'on peut accompagner dans le cadre d'une séance en salle de cinéma ou dans des lieux culturels.
C'est toujours une projection suivie d'une rencontre, d'un débat ou d'une sensibilisation. Ce n'est jamais une projection seule, c'est toujours un accompagnement de films dans différentes salles de cinéma, différents lieux. Ces événements sont aussi l'occasion de mettre en avant les questions d'accessibilité, les questions liées à la représentation du handicap.Ça, c'est le premier volet.
Ensuite, on a un deuxième volet qui concerne la sensibilisation, la formation, le conseil aux professionnels. Faire en sorte que le cinéma soit accessible à tous, quel que soit le handicap. La CST nous sollicite pour intervenir dans le cadre d'une formation. C'est une formation de 4 jours qui est proposée pour les professionnels de l'exploitation sur les questions d'accessibilité et d'inclusion en salle. Retour d'image a en charge le module consacré à la programmation et celui consacré à l'accueil et la médiation.
Il y a aussi un module technique et un module de communication. Troisième volet de l'activité de Retour d'Image, ce sont les ateliers d'éducation à l'image. Notre idée, c'est de faire en sorte que l'accessibilité ne s'arrête pas à la salle de cinéma, mais de permettre à tous les spectateurs de pouvoir s'initier au cinéma, de pouvoir découvrir des métiers de cinéma, des techniques de l'image et du son.
Ce sont des ateliers qui sont proposés à des groupes au sein de structures. Cela peut être des établissements scolaires, spécialisés, des médiathèques. Ce sont des ateliers de création sonore, de création audiovisuelle, autour de l'audiodescription et du sous-titrage.
Actuellement, ce qui se passe aussi, c'est qu'on constate qu'il y a énormément de demandes de la part des structures, notamment dans le domaine éducatif, médico-social, pour mettre en place ce type d'atelier, mais qu'il y a parfois un manque de budget. Ce qu'on fait en général, c'est qu'on sollicite différents partenaires, on fait des demandes de subvention pour pouvoir mettre en place ces projets. On arrive auprès d'une structure en leur proposant l'atelier avec un tarif réduit du fait des ces financements complémentaires..
Cela facilite la mise en place du projet. Ensuite, après nous, on a des intervenants artistes qui vont animer ces différents ateliers et amener un groupe à réaliser une création qui sera ensuite toujours valorisée à travers une restitution qui peut se faire en salle de cinéma ou dans une salle à proximité du lieu ou dans un lieu qui permet à un plus large public de découvrir ces créations. C'est ce qui est un peu transversal à toutes les activités d'Auto-Images, c'est de faire cette démarche inclusive.
L'idée est de permettre le partage de l'expérience de cinéma avec tous les spectateurs.
- Quel est votre poste au sein de Retour d'Image, et pourquoi ce choix d'intégrer l'association ?
Stéphane Fort : De mon côté, je suis arrivé chez Retour d'Images, car c'était une structure qui me semblait concilier des sujets qui me passionnent depuis plusieurs années, à la fois par ma formation en sciences politiques et médiations culturelles, où je m'étais spécialisé un peu plus sur le cinéma, et puis une expérience que j'avais eue il y a une dizaine d'années dans une association qui travaillait sur les questions de lutte contre les discriminations et la question d'égalité.
Retour d'Image faisait le lien entre tous ces sujets. Ce qui m'a vraiment plu à Retour d'Images, c'est l'approche, la démarche qui est de partir du cinéma pour parler de questions liées au handicap, et puis le fait qu'on puisse appréhender le cinéma à travers une diversité de points de vue. C'est ça qu'on essaie de transmettre, c'est l'idée que c'est en ayant la possibilité d'avoir au sein d'une même salle ou dans le cadre d'activités de cinéma, une diversité de points de vue, une diversité de façons d'appréhender le film qui va faire qu'on va s'enrichir mutuellement.
J'ai l'impression qu'il y a de plus en plus de demandes et surtout de plus en plus de professionnels qui s'y intéressent, qui essaient de mettre en place des projets autour de ce sujet.
Tatiana Lujic : J'ai rejoint Retour d'Image en 2014, après avoir passé un entretien et suivi une formation de collaboratrice à l’écriture de versions audiodécrites à l'INA. J'ai commencé à m'investir dans le groupe de visionnage, où nous étions plus concentrés sur l'accessibilité pour les malentendants. À l'époque, les films n'avaient pas forcément besoin d'être audio-décrits pour figurer dans le catalogue.
- Quelle est votre vision de l'évolution de l'audiodescription dans les années à venir ?
- On a constitué un groupe de travail pour réfléchir à ces questions sur les usages de l'IA dans les métiers de l'audiodescription, mais aussi plus largement dans les métiers de l'accessibilité du cinéma. Il y a aussi la question du sous-titrage adapté pour les personnes sourdes ou malentendantes. L'objet de ce groupe, c'est de voir dans quelle mesure ces nouvelles technologies vont entraîner des modifications, des changements dans ces métiers et comment nous, on peut travailler pour faire en sorte qu'il y ait quand même une garantie sur la qualité des versions de l'écrit ou des versions sous-titrées.
Ils mettent en place des choses parce qu'ils y sont un peu obligés. S'ils n'y étaient pas obligés, il n'y aurait que quelques petites initiatives par-ci par-là. Mais concrètement, on sent au niveau des laboratoires de post-production, pour certains, un désir de qualité. Pour d'autres, c'est vraiment une obligation, et on fait ça sans vraiment savoir comment il faut faire. On le fait un petit peu parce qu'il faut le faire.
Netflix utilise de plus en plus un logiciel avec directement la voix, donc, il n'y a plus de voix de synthèse. Jusqu'à présent, on avait fait des essais avec des voix de synthèse qui étaient absolument abominables. Mais là, aujourd'hui, ce qui arrive sur le marché, là maintenant, en voie de synthèse, c'est impressionnant. Et c'est un gain financier pour le producteur, en fait, qui ne sont plus obligés de payer des cachets à un acteur pour lire l'audiodescription. Malheureusement, la conséquence c'est beaucoup de travail en moins pour les acteurs. En revanche,e, l'auteur voit plutôt une augmentation de son activité car il faut adapter le texte, moduler avec des virgules, avec certaines lettres pour qu'on fasse les liaisons.l va falloir négocier une augmentation pour les auteurs, je suppose, parce que c'est le travail d'écriture plus le travail de directeur artistique.
Actuellement, existe-t-il en France une obligation pour qu'un film soit accessible à tous ?
Oui, depuis 2020, Il y a une obligation du CNC, pour les films qui ont l'agrément de production. Tous ces films doivent disposer d’une version audiodécrite et d’une version sous-titrée SME.
Ça concerne principalement les longs métrages qui peuvent être fiction ou documentaire et l'obligation vaut pour la projection en salle mais aussi pour les différents supports qui vont suivre. Les versions doivent être produites pour être disponibles sur ces différents supports. Il y a aussi une aide qui va de pair avec cette obligation en fonction du budget du film. Mais l'obligation ne doit pas toujours être vérifiée. On se retrouve en tout cas avec des films français qui n'ont pas d'audiodescription, notamment au Marius.
Le Marius, c'est une organisation qui n'est pas associée aux César, mais qui essaie de promouvoir l'audiodescription. Pour ce faire, on prend les 5 films nominés aux César et on va réunir un panel de personnes déficientes visuelles ou de voyants pour mettre une note sur l'audiodescription des films nominés aux César. Tous les ans, on remet le Marius de l'audiodescription à un auteur qui a écrit l'audiodescription. On le donne à l'auteur, mais il faut savoir qu'il y a d'autres professionnels tout autour de l’auteur, l'ingénieur du son, le mixeur et le collaborateur aveugle, s'il y en a un. Il y a deux ans, on avait un film au Marius qui n'avait pas d'audiodescription. Il a été éliminé d'office de la liste.
Comment peut-on trouver le juste équilibre entre le silence nécessaire pour apprécier une œuvre et l'ajout de l'audiodescription ?
Tatiana Lujic : Moi, je suis collaboratrice à l'audiodescription, c'est-à-dire que j'interviens une fois que l'auteur a écrit son texte. J'interviens avant le mixage et avant l'enregistrement. La plupart du temps, on travaille avec l'auteur, soit en présentiel avec l'auteur, soit dans les studios du laboratoire de post-production, soit en visio. Petit à petit, on est en train d'avoir un métier, moi, qui se fait maintenant presque à 80 % en visio.
Il se passe énormément de choses dans un film, il ne s'agit pas simplement de décrire une action. Ce qui est important, c'est de décrire l'œuvre, c'est-à-dire ce qu'a voulu faire ressentir un réalisateur. C'est-à-dire ce qu'il a filmé, il a choisi ses personnages, donc il faut vraiment arriver à sentir pourquoi ces personnages-là ont été choisis, ces acteurs représentatifs. Il faut aussi essayer de montrer et de faire ressentir, sans expliquer factuellement, mais de faire ressentir par les images choisi par le réalisateur pour faire ressentir des choses. Si le réalisateur a choisi de faire une scène totalement assombrie, aux bougies, ce n'est pas du tout la même chose que de la faire en plein soleil, complètement éclairée par des projecteurs.
Il y a beaucoup d'émotions qui s'entendent soit par le sonore, soit par l'émotion qui se met dans la voix. Donc, souvent, ce n'est pas la peine de décrire ce genre de choses parce qu'elles viennent en plus et rajouter de la voix sur un film. Donc, l'émotion, justement, aide à ne pas surcharger un film.
Les salles de cinéma sont-elles suffisamment équipées aujourd'hui pour garantir l'accessibilité ?
Il y a de plus en plus de solutions qui se développent, notamment des solutions sur smartphone, dont des applications qui peuvent fonctionner sans équipement de la part de la salle. C'est important aussi d'informer les salles de cinéma sur ces différentes solutions. Et sur le fait qu'aujourd'hui, vu qu'il y a de plus en plus de films audiodécrits, proposer vraiment une diversité de films en version audio-décrite aux spectateurs.
L'idée pour nous, c'est d'intervenir à toutes les étapes pour faire en sorte que, justement, une fois qu'on a des versions audio-décrites, 'elles puissent arriver jusqu'aux spectateurs. Donc, il y a ça. Et puis après, il y a aussi ce travail autour de la médiation qui passe beaucoup par les ateliers, par exemple.
Interview conduite et article rédigé par Esther Douay