Nous inaugurons la première rencontre de la Fabrique des Formats. Romain Cousi, co-créateur du jeu Tout le monde veut prendre sa place, propose un retour d’expérience sur la production et l’exportation de formats et notamment de jeux télévisés.
Après plusieurs années passées au développement de programmes, Romain Cousi devient web entrepreneur et fonde la société Silicone Carne qui met au point les adaptations en ligne de jeux télévisuels. En introduction, il rappelle à travers quelques étapes historiques de l’expansion de formats internationaux.
Les grands formats de jeu émergent dans les années 50-60-70 (Le juste prix 1953, Intervilles 1962). Pour le jeu, il faut avant tout du rire et de la proximité. Les années 2000 signent une nouvelle ère des formats. L’argent et les sommes en jeu deviennent plus importants et la mise en scène plus nerveuse. Qui veut gagner des millions est crée en 1998 (aujourd’hui diffusé dans 120 pays), Money Drop fait son apparition en 2000 (50 pays). Citons également l’exemple français Fort Boyard vendu dans 30 pays, le seul format à ce jour lié à un lieu unique. Le format est aujourd’hui une propriété qui a de la valeur, plusieurs marchés lui sont consacré (MIP, NATPE) et il s’achète extrêmement cher.
Nous découvrons deux tendances de formats de jeu au travers de deux exemples :
Un format qui a fait le buzz il y a 6 ou 7 ans. Il est basé sur un concept très simple : dire la vérité pour gagner. Le candidat est relié à un détecteur de mensonges, tant qu’il dit la vérité, il gagne de l’argent. Le détecteur de mensonge fait réellement partie de l’imaginaire collectif américain.
- Distraction (Royaume Uni)
Il s’agit d’un quiz, un programme daytime où le présentateur passe beaucoup de temps à plaisanter avec les candidats, Dans ce format, le public est complice. A la différence du format américain qui repose beaucoup sur le show, sur l’aspect spectaculaire, le format anglais développe une atmosphère plus intimiste. On peut y voir les deux grandes tendances de jeu qui définissent les formats de journée et les formats prime time.
Pour le format de jeu, un mot d’ordre : la simplicité. Romain Cousi nous parle de la mécanique et du développement. De l’idée au concept :
- Point de départ : une idée très simple
- Point d’arrivée : un conducteur précis
Pour passer au format, il faut rédiger un cahier des charges – une bible – très détaillé (avec un minutage de chaque partie).
Autre élément déterminant pour les formats de jeu : une intention de casting auquel le téléspectateur pourra s’identifier. Ainsi, Romain Cousi nous rappelle que les jeux ne sont pas faits pour les candidats mais pour les téléspectateurs.
Qui veut gagner des millions possède une bible très précise. L’objectif clairement défini est de créer du stress, de l’inconfort (le tabouret n’est pas confortable, le sol doit être vitré afin de donner un sentiment de vertige…). L’émission est aussi vendue avec une banque de données de 250 sons qui se superposent tout au long du jeu pour créer l’atmosphère.
A l’opposé Tout le monde veut prendre sa place cherche la convivialité. La première manche dure 22 minutes sur les 45 minutes de jeu. Il s’agit moins de répondre aux questions que de présenter les candidats et de faire leur connaissance. Nagui plaisante et cherche à mettre en valeur les candidats.
KISS : keep it short and simple ou La quête de la simplicité
Pour créer un jeu, il faut rechercher l’essence du jeu et s’assurer que le principe du jeu peut être résumé en une phrase. Cela ne juge en rien de sa qualité. A ce sujet, Burger quiz en est le contre-exemple. Ici, on cherche davantage la mise en abyme du jeu télévisé et le décalage.
Romain Cousi évoque la genèse du projet Tout le monde veut prendre sa place. Il explique que le jeu est construit sur un déséquilibre, une inégalité, tout est fait pour que le champion reste le plus longtemps possible. On a constaté que l’audience progressait dès lors que le champion est installé. C’est un quiz de culture pop, un jeu du midi très généraliste, qui se veut le moins segmentant possible. Tout doit être au service de cet univers.
On s’arrête un instant sur Money Drop et sur les raisons de sa réussite en France. Un territoire sur lequel la question de l’argent est généralement taboue. Au moment de mettre le format à l’antenne, les équipes de TF1 se sont interrogées sur la réception du programme : quelles réactions à la vue des liasses de billets ? Le jeu possède également un mécanisme inversé c'est-à-dire que plus on avance, plus on répond aux questions, moins on a d’argent. Si Money Drop est un succès, c’est en grande partie du fait de sa dramaturgie, une mise en scène et un générique dignes d’une série tv. Pour maintenir le suspens et créer des scénarios, il faut maîtriser l’exécution du jeu, dans ce cas l’ordre des questions est fondamental. Autre clé du succès : la présence d’un couple de candidats qui hésitent, ne sont pas d’accord, se contredisent, autant d’éléments qui suscitent l’intérêt du téléspectateur.
En résumé, pour la création d’un format de jeu, il faut veiller à :
- La simplicité des règles : trouver l’essence de jeu
- La création d’une dramaturgie
- Un casting mis en valeur auquel on s’identifie
- La mise en scène au service de l’univers du jeu
La discussion porte ensuite sur l’exportation de formats et la situation de la création française. Si tout le monde est convaincu des qualités des créatifs français, il semble y avoir plusieurs barrières au changement. Les diffuseurs possèdent un rapport au risque compliqué qui n’incite pas au changement. Aujourd’hui Effervescence et French TV ne sont pas en mesure de gagner le rapport de force avec TF1 ou M6. Face à ce constat, deux stratégies paraissent possibles. D’une part, le développement à l’international. Aller conquérir de nouveaux marchés en dehors des frontières et revenir en France dans un second temps. D’autre part, le partage de la propriété intellectuelle. Pour faire évoluer les positions de TF1 ou M6, pourquoi ne pas proposer des parts de propriétés intellectuelles contre financement. En comparaison avec ses homologues européens, TF1 devrait être aujourd’hui à la tête d’un vaste catalogue de formats. L’enjeu pour les diffuseurs serait alors de comprendre qu’il s’agit là d’une stratégie win-win et d’une nouvelle stratégie qui peut s’avérer également rémunératrice.
Romain Cousi se tourne aujourd’hui vers l’univers du web qu’il trouve plus rapide. Si la production en ligne n’est pas encore rentable, elle offre néanmoins la possibilité d’être son propre décideur, une liberté que ne permettent pas les diffuseurs.