- Pouvez-vous vous présenter et présenter FranceTV Distribution?
Je suis Catherine Bernard, directrice générale adjointe de France TV Distribution depuis six ans. Concernant mon parcours, j'ai étudié à Sciences Po Bordeaux, tout en obtenant une licence de droit, un troisième cycle en finance, ainsi qu'un DEA. J'ai également commencé un doctorat en anthropologie de la décision, que je n'ai cependant pas terminé. Mon parcours est donc riche en sciences sociales.
France TV Distribution est la filiale de diversification de France Télévisions. La diversification concerne tous les revenus qui ne proviennent pas du cœur de métier, c'est-à-dire des crédits publicitaires pour France Télévisions. Nous couvrons plusieurs activités, notamment la distribution, c'est-à-dire la revente de programmes audiovisuels, de films et de formats pour France Télévisions. Cela représente environ 40 % de notre chiffre d'affaires. Nous gérons également les chaînes YouTube, Facebook et Snapchat des programmes de l'antenne. De plus, nous nous occupons des licences de marques diffusées sur l'antenne, principalement des marques pour enfants. Nous gérons aussi les partenariats musique et spectacle pour l'antenne, ainsi que l'édition musicale et les supports physiques comme les DVD.
- Comment êtes-vous arrivée dans le milieu de l’audiovisuel ?
Comme j'avais fait un troisième cycle en finance, j'ai débuté dans ce domaine, en travaillant dans le conseil en communication financière chez Euro-RSCG Finance. Par la suite, j'ai été débauchée par Canal+. Là-bas, j'ai continué dans la communication financière avant de rapidement me tourner vers le lobbying européen, au sein de la Direction des Affaires Européennes, où je me suis occupée des affaires institutionnelles. J'ai également contribué à la réorganisation de plusieurs pôles d'activité, notamment à la création de Studio Canal, qui s'étendait sur six territoires européens et aux États-Unis. Ensuite, j'ai pris en charge les licences, d'abord chez Studio Canal, puis chez Canal+.
Après cette période, j'ai rejoint Lagardère Active, où je me suis occupée de la diversification, gérant les partenariats musique et spectacle ainsi que l'édition, car nous faisions également beaucoup d'édition et de coédition. Finalement, je suis partie de Lagardère Studio pour rejoindre France TV Distribution.
Ce qui est vraiment intéressant dans mon parcours, c'est que, par le hasard de la vie, j'ai acquis une connaissance approfondie de chaque poste que j'ai occupé. J'avais une solide expérience en vente interne et en distribution grâce à mes années chez Studio Canal, je maîtrisais très bien les licences après mon passage chez Canal+, et j'étais aussi à l'aise avec les partenariats musique-spectacle et l'édition musicale grâce à Lagardère Active. De plus, j'avais une bonne connaissance de la production de programmes pour les réseaux sociaux acquise chez Lagardère Active. Ainsi, en arrivant à mon poste actuel, j'avais déjà exercé tous ces métiers. J'ai toujours travaillé dans l'univers de la diversification, c'est-à-dire dans la collecte de revenus hors cœur de métier.
- Quel conseil donneriez-vous aux jeunes professionnels qui souhaitent évoluer dans l'industrie de la distribution audiovisuelle ?
Je ne sais pas s'il existe une voie classique pour accéder à ce domaine. Le conseil que je donnerais aux jeunes qui souhaitent se lancer dans la distribution, c'est de faire un stage chez France TV Distribution, car nous excellons dans ce domaine.
Travailler avec nous est très agréable, tant sur le plan professionnel que personnel. Pour le reste, je pense qu'il est essentiel de suivre ce que l'on aime le plus et dans lequel on se sent le mieux.
- On remarque que les métiers de la distribution audiovisuelle sont souvent occupés par des femmes. Partagez-vous cette observation ? Si oui, à votre avis, qu'est-ce qui explique cette tendance ?
Il est vrai que la distribution audiovisuelle, par rapport aux ventes internationales de cinéma, est un domaine majoritairement occupé par des femmes, alors que les ventes cinéma comptent davantage d'hommes.
J'ai peut-être un début de réponse à cette observation, avec une touche d'humour. La distribution audiovisuelle est très différente de la vente cinéma. Les ventes internationales de cinéma ressemblent souvent à un jeu, presque à des enchères, où l'on mise beaucoup. En revanche, la distribution audiovisuelle, bien qu'elle inclut une dimension de vente, est beaucoup plus complexe. Elle implique de nombreuses problématiques réglementaires, notamment en ce qui concerne les fenêtres de diffusion, ce qui exige une grande précision et une analyse détaillée de l'offre. Et souvent, les femmes excellent dans ces domaines. C'est donc davantage une question de caractère et de personnalité.
- Quel est le lien entre le département de la distribution et les autres services de France TV ? A-t-il une influence sur le développement des programmes ?
Oui, de plus en plus, car aujourd'hui, lorsqu'on distribue un programme, nous intervenons très en amont, dès l'étape du plan de financement. On dit parfois que nous sommes un peu la variable d'ajustement de ce plan, car lorsque le financement est insuffisant, on fait appel au distributeur pour aider, soit via un minimum garanti, soit en cherchant des préfinancements ou des coproductions à l'international. Ainsi, nous sommes impliqués très tôt dans le processus. De ce fait, nous sommes en lien avec toute la chaîne de production et, en tant que partie prenante du financement, nous avons une influence. Ce n'est pas tant sur les choix éditoriaux, mais davantage sur des décisions concernant les talents associés au programme, comme le casting ou la réalisation.
- Quelle est la tendance en matière de distribution des programmes français ?
La semaine dernière, à l'occasion du Festival de la Rochelle, nous avons lancé chez FTVD une cellule appelée Global IP. Cela fait une dizaine d'années que nous excellons dans la vente de formats, et cela s'inscrit dans notre histoire. Nous avons commencé avec la série "Dix pour cent" et, aujourd'hui, nous comptons une dizaine de formats vendus et exploités dans le monde entier. Que ce soit en Inde, en Corée ou aux États-Unis, chaque contrat est différent, avec des partenaires et des méthodes d'adaptation spécifiques à chaque pays.
Grâce à cette expertise, tant commerciale que juridique, nous vendons de plus en plus de formats. Nous avons vendu à la BBC, et actuellement, nous négocions la vente d'un format cinéma à Alibaba en Chine, entre autres.
La cellule Global IP a été créée pour valoriser cette expertise en matière de vente de formats. Même si, comme vous l'avez peut-être vu dans les chiffres dévoilés par Unifrance et le CNC lors des Rendez-vous du Havre, les ventes de formats sont légèrement en baisse.
Il est crucial que ce soit le distributeur qui gère la vente des formats, sans scission, car une stratégie doit être adaptée pays par pays. Certains marchés sont plus réceptifs aux productions prêtes à diffuser (Readymade), tandis que d'autres préfèrent acheter des formats. Quand ces activités sont séparées, on se retrouve parfois dans des situations absurdes, où l'on vend du Readymade pendant qu'une autre entité vend le format pour le même territoire, ce qui n'a aucun sens.
- Actuellement, quels territoires vous paraissent les plus dynamiques ?
Il est intéressant de constater que les tendances observées sur les marchés figurent dans le rapport d'Unifrance. Tout d'abord, il y a une réduction générale de la prise de risque chez les acheteurs, qui préfèrent acquérir des propriétés intellectuelles (IP) déjà établies pour minimiser les risques. Cela rend la vente de nouveautés plus difficile, tandis que les IP sont plus faciles à vendre.
Un bon exemple de cela est la série "Astrid et Raphaëlle" : le ready made se vend très bien, mais nous vendons aussi le format. Il est évidemment plus simple de vendre les saisons 6 ou 7 d'une série bien établie que de proposer un nouveau programme inconnu du public. Ce constat vaut à la fois pour les ready made et les ventes de formats.
C'est d'ailleurs pour cette raison que les ventes de formats ont explosé ces dernières années. L'Asie, en particulier, est de plus en plus demandeuse, notamment en ce qui concerne l'acquisition de formats.
Cela constitue une source de revenus en pleine croissance, ce qui est relativement nouveau, car jusque-là, les différences culturelles, notamment en matière d'humour, représentaient des obstacles importants. Environ 90 % des programmes humoristiques ne se vendent pas à l'international, en raison des différences culturelles dans la perception de l'humour. Cependant, les 10 % qui parviennent à se vendre, surpassent largement les autres types de programmes en termes de succès.
Il suffit de regarder le cinéma français : les films français qui se vendent le mieux à l'international sont souvent des comédies, comme "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?", "Bienvenue chez les Ch'tis", ou encore "Les Visiteurs"
- En tant que directrice, quelle est votre vision de l’évolution de la distribution avec l'essor de l'intelligence artificielle ?
La distribution est avant tout, et restera, un métier centré sur l'humain. La force des commerciaux repose sur la confiance que les vendeurs leur accordent pour savoir identifier ce qu'ils recherchent.
Il s'agit également d'une compétence très personnelle, où l'intuition joue un rôle clé. Savoir bien présenter un projet, choisir les bonnes stratégies, définir les fenêtres de diffusion appropriées, tout cela nécessite un savoir-faire spécifique pour séduire les clients.
Donc, non et oui. Non, car l'humain reste au cœur de la distribution, mais oui, car notamment dans le domaine du marketing, où nous avons une équipe importante, nous développons beaucoup de mood boards, de bandes-annonces, etc. Dans ce cadre, il est probable que des applications d'intelligence artificielle nous apportent une aide précieuse à l'avenir.
- L'évolution des plateformes a-t-elle impacté la manière dont les programmes français sont vendus à l'international ?
Non, l'évolution des plateformes n'a pas directement changé la manière de vendre des programmes français à l'international. Tout d'abord, l'explosion des plateformes ces dernières années a largement contribué aux plans de financement via les préachats. Nous avons traversé plusieurs étapes, notamment chez France Télévisions. Au début, il y avait une inquiétude face à l'arrivée des plateformes américaines sur le marché français, notamment en ce qui concerne le financement des programmes. On se souvient, par exemple, de "Dix pour cent", que nous avions vendu à Netflix et qui a été présenté à la presse comme un "Netflix Original", alors qu'il s'agissait bien d'un programme France Télévisions.
Ensuite, avec l'essor de ces plateformes, les coûts de production ont explosé, tout comme l'accès aux talents, qu'il s'agisse de scénaristes, de réalisateurs ou d'acteurs. Nous avons donc été contraints de nous tourner vers les plateformes pour demander leur aide dans le co-développement et la co-production de ces programmes. C'est à ce moment-là que nous avons commencé à négocier les fenêtres de diffusion et à trouver des compromis adaptés aux différents acteurs.
Aujourd'hui, cependant, on observe un léger retour en arrière. Aux États-Unis, par exemple, chaque foyer est abonné à une moyenne de 5,5 plateformes, ce qui est devenu excessif. En conséquence, les plateformes rationalisent leurs investissements et réduisent les coûts de production, qui avaient atteint des niveaux très élevés.
Cette évolution entraîne une baisse des budgets de production, car il devient impossible de financer les programmes à de tels montants. Nous nous retrouvons donc avec une offre surchargée de producteurs proposant des prix que nous ne pouvons plus payer. Nous tentons de trouver des solutions via des préfinancements ou des coproductions internationales.
Pour répondre à votre question, finalement non. Il y a eu une sorte de bulle autour des plateformes, mais celle-ci s'est quelque peu dégonflée. Elle existe toujours, mais avec moins d'intensité qu'auparavant.
- Comment intégrez-vous les nouvelles tendances du marché, telles que YouTube et les réseaux sociaux, dans vos stratégies de distribution ?
Ce n'est pas vraiment une concurrence. Je pense que tout peut coexister. Pour nous, distributeurs, ce n'est pas un problème. Si vous demandez à France Télévisions en tant qu'éditeur, peut-être qu'ils auront une autre perspective, mais en tant que distributeurs, notre travail consiste précisément à orchestrer la diffusion des programmes sur différents canaux, y compris les réseaux sociaux. C'est pour cette raison que chez France TV Distribution, nous gérons à la fois la présence sur les réseaux sociaux, la mise en lumière des contenus, et leur diffusion sur les plateformes. L'enjeu est de coordonner tout cela au mieux, dans l'intérêt du producteur.
- Quel est le positionnement de FranceTVD sur le marché de la distribution ?
Dans le domaine de la distribution, chez FTVD, nous avons une position iconoclaste en Europe. En effet, nous sommes les seuls à avoir un line-up qui n'est pratiquement pas composé de productions issues de France Télé Studios, le producteur interne de France Télévisions. Pourquoi cela ? Parce que la part de production interne autorisée à France Télévisions est plus faible en France que dans d'autres pays européens. Cette particularité découle de la volonté de préserver un tissu audiovisuel solide en France, en soutenant l'ensemble des producteurs indépendants.
Pour les aider à prospérer, une part du financement de l'audiovisuel public leur est destinée. Ainsi, la part de production interne, qui était de 17,5 %, a récemment été renégociée à 20 %. De ce fait, très peu de programmes produits en interne arrivent directement dans le catalogue de France TV Distribution pour être vendus.
Nous devons donc aller chercher des mandats de programmes en dehors de France Télévisions Studios pour pouvoir fonctionner. Ces mandats sont cruciaux, car nous les acquérons au prix du marché, ce qui nous motive fortement à les vendre. Les programmes que nous choisissons sont sélectionnés par les vendeurs eux-mêmes, convaincus qu'ils sont les meilleurs à commercialiser, avec une réelle envie de les promouvoir.
Cela nous distingue d'autres diffuseurs, comme Newen, qui dispose d'une cinquantaine de sociétés de production qui alimentent Newen Connect. Newen Connect est donc principalement nourrie par les productions de son réseau interne, une structure que nous n'avons pas. Prenons également l'exemple de la BBC, qui bénéficie des productions de BBC Studios, ce que nous n'avons pas non plus.
Cette spécificité est finalement une force pour nous, car elle nous permet de proposer des contenus variés, tout en étant pleinement investis dans la vente des programmes que nous choisissons de distribuer.
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Interview conduite et article rédigé par Esther Douay