Premier mode d’emploi juridique des formats audiovisuels
Par Xavier Près, avocat, docteur en droit, associé, VARET PRÈS, société d’avocats
La France importe plus de formats d’émissions télévisuelles qu’elle n’en exporte, en particulier quand il s’agit de formats de jeux et de divertissements. Nombre de formats diffusés en France sont des formats étrangers provenant majoritairement des pays anglo-saxons : Koh Lanta, Masterchef, Un diner presque parfait, Danse avec les Stars, etc. La situation n’est pas nouvelle. Elle n’est pas pour autant irréversible. Bien au contraire. La filière des formats en France a en effet décidé de se structurer pour mieux encadrer un secteur arrivé à maturité malgré quelques pratiques encore discordantes, étant précisé qu’un format audiovisuel peut indifféremment donner lieu à un programme de flux, ou à un programme de stock, aussi appelé programme de catalogue, en ce qu’il conserve sa valeur indépendamment du nombre de diffusions.
Une définition désormais bien établie
Il n’existe pas de définition légale du format audiovisuel de stock comme de flux (ou sonore – pour les formats de podcast notamment). Aucune définition n’est donnée, ni dans la législation française, ni dans les textes de l’Union européenne. Malgré le nombre et la diversité des sujets traités dans les textes récents du droit dérivé européen, aucun n’aborde le sujet qu’il s’agisse, par exemple, de la directive « droit d’auteur et droits voisins dans le marché numérique » (Directive UE 2019/790 du 17 avril 2019), de la directive « CabSat » (Directive UE 2019/789 du 17 avril 2019) ou encore de la directive « SMAD » (Directive UE 2018/1808 du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE SMA du 10 mars 2010).
En dépit de ce silence des législateurs français et européen, la notion n’en est pas moins désormais bien établie en jurisprudence. Les premières décisions ayant reconnu à un format audiovisuel la qualité d’œuvre de l’esprit protégeable au titre du droit d’auteur datent de la fin des années 1990 avec notamment les décisions « Bienvenue à Bord » et « Divertissimo » rendues par la Cour d’appel de Paris respectivement le 19 décembre 1997 et le 27 mars 1998. Par la suite, plusieurs décisions ont précisé la notion. La plus aboutie résulte d’une décision du 3 janvier 2006 du Tribunal de grande instance de Paris dans laquelle il a été considéré que « le format doit être entendu comme étant une sorte de mode d’emploi qui décrit un déroulement formel, toujours le même, consistant en une succession de séquences dont le découpage est pré-établi, la création consistant, en dehors de la forme matérielle, dans l’enchaînement des situations et des scènes, c’est-à-dire dans la composition du plan, comprenant un point de départ, une action et un dénouement, le format constituant un cadre au sein duquel l’œuvre va pouvoir se développer (…)». C’est cette définition, qui peut s’appliquer au stock comme au flux, qui fait désormais consensus tant auprès des acteurs du secteur audiovisuel que des tribunaux, ainsi que cela ressort d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 1er juin 2018 dans lequel il a été expressément précisé que « les parties s’accordent [sur cette définition] conformément à la jurisprudence ».
Ce consensus ne saurait masquer les difficultés pratiques à protéger les formats au titre du droit d’auteur. Le droit d’auteur ne protège en effet ni les idées ni les concepts, mais les créations de formes originales. Or le format d’un programme audiovisuel (ou sonore – podcast encore) repose en grande partie sur un concept et peut, en pratique trop souvent, se réduire à une idée. Dans l’arrêt précité du 1er juin 2018, la Cour d’appel de Paris a rappelé à cet égard qu’un « format d’émission de télévision n’est protégeable qu’autant que la forme, l’expression des idées, le développement qui lui est donné et l’enchaînement des scènes qui le composent, lui confèrent le caractère d’œuvre originale ». Plus que pour n’importe quelle œuvre de l’esprit, le critère de la forme est donc essentiel car sans une description précise du cadre fixant à l’avance le contenu des émissions ultérieures, il sera impossible de caractériser l’originalité du format, à savoir les choix libres et créatifs exprimant la personnalité de l’auteur. Les pratiques ont toutefois évolué ces dernières années. Les formats sont en effet de plus en plus précis et donnent au demeurant souvent lieu, y compris pour les formats de flux, à une bible, voire à un pilote, préalablement à la réalisation des émissions elles-mêmes.
Une exploitation s’inscrivant dans la chaine classique de valeur de l’audiovisuel
En pratique, l’auteur d’un format est souvent crédité par les sociétés de production comme étant le producteur lui-même ou, plus précisément, la personne physique habilitée à représenter juridiquement la société. S’il arrive que ce dernier participe, seul ou avec le concours d’autres auteurs, à la création du format, sa seule qualité de dirigeant ne saurait suffire à lui reconnaitre la qualité d’auteur du format. Celle-ci résultera de sa participation active à la création d’un format et ce comme n’importe quel auteur, qu’il soit salarié ou indépendant.
Un contrat écrit de cession de droits d’auteur sera donc nécessaire, ne serait-ce que pour fixer les conditions financières de la cession qui seront déterminées par couloirs ou modes d’exploitation. Et dans la mesure où le format ne saurait être confondu avec la ou les émissions qui en seront adaptées, le producteur se fera ainsi céder, d’abord et avant tout, les droits d’adaptation sous forme d’œuvre audiovisuelle (ou sonore – formats de podcast encore), ainsi que le droit d’exploiter ces adaptations par reproduction et représentation. Parmi les modes d’exploitation visées dans le contrat de cession seront classiquement énumérées la télédiffusion, sous toutes ces formes, ainsi que les exploitations sur les plateformes numériques, sous forme de vidéogrammes (ou de phonogrammes – podcast encore), par extraits et/ou fragments, ou encore sous la forme de produits dérivés. Et à chacun de ces modes d’exploitation correspondra une rémunération spécifique. L’énumération de ces modes d’exploitation sera d’autant plus utile que l’auteur du format sera considéré comme étant également l’auteur des œuvres audiovisuelles réalisées à partir du format et ce par application de l’article L. 113-7 du code de la propriété intellectuelle dont le dernier alinéa dispose que « Lorsque l'œuvre audiovisuelle est tirée d'une œuvre ou d'un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l'œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l'œuvre nouvelle ». Et ce indépendamment de la question de savoir si l’auteur du format aura ou non contribué à la réalisation du programme audiovisuel. Les contrats signés avec les auteurs de formats de stock comme de flux ne seront donc pas différents de ceux par exemple en usage pour les auteurs d’une bible d’une série télévisée, les règles applicables aux seconds étant aisément transposables aux premiers, la nature de leur contribution n’étant pas différente juridiquement et pratiquement.
La pratique est à cet égard bien établie. Les sources de valorisation économique du format seront donc aussi diversifiées que le permet la multiplicité des modes d’exploitation actuels. Il faudra également veiller aux exploitations à venir. On songe par exemple à l’adaptation du format ou à l’utilisation de ses adaptations dans le cadre des nouvelles potentialités offertes par la réalité virtuelle, spécialement depuis que Facebook a annoncé la création de 10 000 emplois en Europe pour construire un monde parallèle numérique (ou « métaverse »). A cet effet, le producteur jouera un rôle central dans la chaine de valeur économique et juridique du format : il fera le lien, en amont, avec le ou les auteurs du format et de ses adaptations, aux fins notamment de l’obtention du financement et des droits nécessaires à l’exploitation du format et, en aval, avec les différents distributeurs et diffuseurs aux fins de la diffusion du programme audiovisuel (ou sonore – podcast toujours) auprès du public. Le rôle du producteur sera d’autant plus déterminant que désormais ces différentes qualités s’entrecroisent largement, le producteur pouvant par exemple être à la fois créateur, studio de production et diffuseur.
La création d’un cercle vertueux
Si la qualification d’œuvre de l’esprit au format n’est pas encore considérée de prime abord comme évidente, cette difficulté ne saurait conduire à soustraire le format des règles classiques du droit d’auteur et de son modèle économique qui, on l’a vu, lui sont aisément applicables tant s’agissant de la titularité des droits que des modalités d’exploitation dès lors que le format est suffisamment précis et original. En pratique, le recours à la qualification d’œuvres de l’esprit et, partant l’application du droit d’auteur, n’est toutefois pas encore systématique. Nombre d’acteurs audiovisuels ont des pratiques discordantes consistant, d’une part, au stade de la création et de l’exploitation du format, à nier la qualité d’auteurs aux personnes ayant contribué à sa création, tout en n’hésitant pas, d’autre part, au stade de la protection et de la défense des droits, à revendiquer des droits d’auteur sur le même format lorsqu’il s’agit de faire sanctionner sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur des programmes reprenant leur format considéré à cet effet comme étant une création de forme originale.
Ces pratiques discordantes devraient à terme disparaitre avec la structuration de la filière et, partant, le développement de règles de bonnes pratiques. La filière des formats a en effet décidé de se structurer. Dans le prolongement des préconisations portées par Philippe Chazal dans le cadre de la mission que le ministère de la Culture lui avait confiée, la Fabrique des Formats, la FICAM (Fédération des industries du Cinéma, de l’Audiovisuel et du Multimédia), la SAJE (société des auteurs de jeux), la SCAM (Société civile des auteurs multimédia), , l’ACCES (Association des chaines du câble et du satellite), le SEDPA (Syndicat des entreprises de distribution de programmes audiovisuels), le SPI (Syndicat des producteurs Indépendants) et le SPECT (Syndicat des producteurs et créateurs indépendants de programmes audiovisuels) ont décidé de créer l’Alliance pour la Création et la Promotion de Formats Français (ou « ACP2F »).
Le 9 juin 2021, l’ACP2F a ainsi déclaré réunir « l’ensemble de la filière du format, des auteurs aux distributeurs en passant par les producteurs et les prestataires techniques, soit près de 250 sociétés et 80 000 emplois ». Son ambition est de défendre la création de formats « Made in France », sa vocation affichée étant de « coordonner et structurer les réflexions et les actions autour de la création de formats de toutes les organisations qui la composent » et auprès des pouvoirs publics sur les plans national et international.
Avec la structuration de la filière, des règles de bonnes pratiques favorables à l’ensemble des acteurs devraient émerger. Des financements incitatifs pourraient y aider. L’on songe par exemple à une transposition aux programmes de flux des dispositifs de financement existant pour les programmes de stock dès lors qu’un format audiovisuel peut indifféremment donner lieu à un programme de flux ou à un programme de stock. Au regard des règles du droit d’auteur français, aucune distinction n’est à opérer entre les premiers et les seconds. Les émissions de divertissement et les jeux télévisés sont en effet protégés comme la fiction, le documentaire ou l’animation, c’est-à-dire sous les mêmes conditions d’une création de forme originale. Le droit d’auteur est en effet indifférent au genre, au mérite, à la forme d’expression ou à la destination. Cette indifférence ressort au demeurant clairement de la définition de l’œuvre audiovisuelle telle qu’elle résulte de l’article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle qui commence par citer les œuvres cinématographiques pour les rattacher à la catégorie générique plus large des œuvres audiovisuelles : « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : (…) 6° Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d'images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles ».
Cette indifférence au genre s’arrête toutefois à la porte du droit d’auteur. Car les mécanismes de soutien financier sont actuellement fléchés en faveur des programmes de stock et non au profit des programmes de flux. Pour autant, les premiers ne sont pas moins que les seconds un enjeu à la fois économique et de souveraineté culturelle. D’où des propositions d’instaurer en direction de la création, des producteurs et des diffuseurs de formats de flux comme de stock, des mécanismes de soutien financier en plus de ceux du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC) actuellement limités aux programmes de stock. Avec ces propositions, les formats de flux et de stock devraient ainsi, sans distinction, pouvoir à l’avenir accéder aux nouveaux dispositifs de financements liés à la reconnaissance du format comme faisant partie de la filière des industries culturelles et créatives (ICC) et ainsi être éligibles aux aides des plans de financement d’avenir.
Sans les développer davantage, ni préjuger des mesures qui seront adoptées, précisons seulement en synthèse qu’il s’agit de dispositifs de financement destinés à soutenir la création de formats français et pour lesquels la qualité d’œuvre de l’esprit serait reconnue et effectivement mise en œuvre par les acteurs de la filière. Ces dispositifs devraient ainsi être de nature à favoriser la création française et, partant, irriguer l’ensemble de la filière. Ce cercle vertueux pourrait être aussi permettre d’inverser la tendance et faire en sorte que dans les prochaines années la France exporte davantage de formats qu’elle n’en importe.