VEILLE INTERNATIONNALE DES TENDANCES AUDIOVISUELLES AVEC K7MEDIA
Session du 23/02/2021
BILAN 2020 ET PREDICTIONS 2021
Victoria De Kerdrel, Asia Pacific Consultant
Clare Thomson, Non-Excecutive Director
Présentation de K7
Basée à Manchester au Royaume-Uni, K7Media est une agence de veille des tendances audiovisuelles internationales. Elle produit au quotidien des insights et des rapports auprès de clients producteurs, distributeurs, et académiques partout dans le monde.
Si elle produit de nombreux rapports mensuels et annuels à l’image de leur étude : Tracking the Giants, elle réalise aussi des recherches sur mesure pour ses clients. Pour répondre à ces demandes, K7 possède un réseau de consultants spécialistes autour du monde dont Victoria De Kerdrel fait partie.
Clare Thomson, est spécialisée dans le développement, et plus particulièrement dans le divertissement. Depuis Londres, elle écrit entre autres les « unscripted trends reports » de l’agence. Victoria De Kerdrel est consultante pour K7, et s’occupe des clients de l’agence localisés en Asie. Basée à Singapour depuis 10 ans, elle est davantage spécialiste des questions touchant à la production et la distribution des programmes.
Bilan sur les 7 prédictions 2020 des tendances
Clare Thomson précise qu’évidement au moment où ces prédictions pour l’année 2020 ont été formulées, personne ne se doutait qu’il allait y avoir une pandémie mondiale, ce qui a bien évidement eu de grandes conséquences sur l’industrie audiovisuelle.
Clare Thomson note ainsi 2 principales conséquences de ce confinement généralisé pour le secteur :
- La capacité d’adaptions plus simple pour l’ « unscripted ».
- Une audience, confinée à la maison et donc plus large pour suivre les émissions en live, le sport, ou les talents shows.
1- L’AVOD, la nouvelle SVOD ?
K7 soulignait en effet que de plus en plus de services audiovisuels misaient sur la publicité (l’AVOD), en complément, ou à la place d’un abonnement mensuel (SVOD).
À cet égard, Clare Thomson souligne la confirmation de cette tendance en prenant l’exemple de ViaComCBS qui a placé les revenus publicitaires de ses contenus au centre de sa stratégie au travers notamment de sa plateforme Pluto.Tv. Elle cite aussi NBCUniversal qui a pu bénéficier d’un modèle hybride AVOD /SVOD de sa plateforme Peacock.
2- Davantage de « séries courtes »
Suite au succès de la série Tchernobyl, K7 mettait en évidence l’intérêt pour des séries plus courtes de 4 à 6 épisodes (plutôt que 9/ 10 épisodes), plus digestes pour les téléspectateurs qui sont inondés par l’offre, mais aussi plus simples à produire. Dans son rapport, K7 prenait les exemples de mini séries telles que The Outsider, de Perry Mason, de Des, Little Fires Everywhere. Ou encore The Queen's Gambit.
3- La montée en puissance du « factual entertainment » en Chine
Victoria De Kerdrel explique qu’après le succès des formats coréens tels que Masked Singer en 2019, il est intéressant de noter le développement du « fact-ent » en Chine en 2020, notamment encouragé par la pandémie.
Ex: Welcome Back To Sound, Viva La Romance, Chinese Restaurant, Amazing Diner, Dear Little Study Desk.
4- Davantage de représentation du handicap et la mise en avant des valeurs d’inclusion
Clare Thomson explique que 2020 a été une année importante pour la représentation du handicap à l’antenne comme hors antenne. Elle cite les programmes Love on the Spectrum (ABC/Netflix) et Project Cupid (VTM) sur le sujet du handicap mental. Au-delà d’une « célébration de l’amour » en suscitant l’amathie des téléspectateurs pour ses participants dans les programmes, elle note également qu’en juin 2020, la BBC a annoncé vouloir invertir 100 millions de livres pour encourager la diversité à la télévision à l’écran comme hors-écran.
5- L’avènement des marchés télévisés de niche
Clare Thomson explique que les festivals et marchés de niche spécialisés dans un genre ou sur une région ont continué de se multiplier, pouvant ainsi offrir un service encore plus personnalisé à leurs participants. L’année 2020 poussant à la réalisation des évènements en virtuels aura aussi permis de souligner les opportunités qu’offrent le « distanciel », à commencer par l’accessibilité aux contenus à davantage d’acteurs.
6- Le Vietnam : le nouveau territoire florissant pour les formats en Asie
Victoria De Kerdrel explique que malgré la pandémie, le Vietnam reste leader en termes d’acquisition de formats en volume sur l’Asie du sud-est.
Ex : Rap Viet, The Brain
7- Plus d’émissions « au grand air », en extérieur ou à la campagne
Clare Thomson note que cette prédiction n’a pu que se vérifier avec le confinement. Le « lockdown généralisé » accompagné des limitations de voyager a fait s’envoler le désir des téléspectateurs de s’évader, de voir du grand air et de l’exotisme.
Ex: Over the Atlantic, Don’t Rock the Boat
K7 souligne ainsi aussi l’émergence de formats permettant aux téléspectateurs de redécouvrir leurs propres territoires, en mettant en avant la beauté des paysages locaux.
Ex: Dwars door België('Across Belgium') ou Denkend aan Holland('Holland By Boat'),
Les 7 prédictions 2021
1- L’essor des plateformes "locales/publiques" (type : Channel4, BBC, Salto)
Après la AVOD, c’est au tour des services BVOD (Broadcaster video on demand : vidéo à la demande des diffuseurs) d’être sur le devant de la scène explique Clare Thomson. Les Broadcasters partout dans le monde se battent numériquement pour attirer l'attention des téléspectateurs dans un contexte de concurrence féroce.
Et le confinement qui a permis une augmentation de la consommation télévisuelle, non seulement sur les principaux streamers, mais aussi sur les BVOD, n’a fait qu’exacerber cela note Clare Thomson. Elle donne à cet égard l’exemple de de l’utilisation BBC iPlayer en hausse de 33% en 2020.
->D'autres plateformes locales comme Salto (France), Britbox (UK), Exxen (Turquie), Globoplay ( Bresil) , ou encore Joyn (Allemagne) sont également citées.
->En Asie, on retrouve les plateformes : iQiyi (Chine), Vidio (Indonésie), ou encore weTV (en Corée)
D’après K7, au vu de ce constat, les principaux diffuseurs locaux cherchent maintenant à capitaliser sur cette croissance, avec des restructurations radicales à l’images des 2 exemples britanniques de la BBC et de Channel 4 :
->La BBC a supprimé les rôles de contrôleur de chaîne avec les nouveaux « directeurs de genre » pour adopter une approche axée sur le streaming en 2021.
->Alex Mahon de Channel 4 a récemment dévoilé la stratégie numérique quinquennale Future4, qui verra le radiodiffuseur de service public accélérer ses efforts en ligne, en donnant la priorité croissance numérique par rapport aux notations linéaires.
2- De plus en plus de productions au genre hybride
Clare Thomson explique que 2020 peut être considérée comme l’année de l’hybride, que ce soit :
- - Dans les types événements autours des productions (mixte : présentiel/en ligne ou locaux/globaux...)
- - Dans la diversification des stratégies des acteurs du secteur.
- - Dans la nature des plateformes :
- Mixte AVOD/SVOD
- Mixte séries/music/gaming
- - Dans les genres :
- Mixte de plusieurs sous-genres:
--> Guessing game / Talent Show (ex : Masked Singer)
-->Quiz / “Detective game” (ex : The Hustler )
Mixte ancien/nouveau : reboot ou réadaptions d’anciens programmes (Your home made perfectàYour garden made perfect)
-
- Adaptations de livres : ex The Antiracistbaby
- Mixte des émissions unscripted intégrant des techniques des images de synthèses (CGI : Computer-generated imagery)
3- Le Moyen Orient : nouveau lieu de la production audiovisuelle
Victoria De Kerdrel explique que K7 a fait le choix du Moyen-Orient comme région à surveiller cette année. Elle explique que le monde arabe compte à lui seul une énorme population de moins de 30 ans qui pourrait bientôt atteindre 70%. Elle note que les jeunes publics sont avides de toutes sortes de
programmes, dont une grande partie est de plus en plus occidentalisée. La demande locale de séries et de formats importés n'a jamais été aussi élevée.
Elle note que la concurrence du streaming dans la région s’intensifie également la présence de plateformes locales comme Shahid, mais aussi Netflix qui n’hésite pas à dépenser beaucoup dans ses programmes originaux. Victoria De Kerdrel rappelle que les abonnements SVOD au Moyen-Orient devraient atteindre 5 millions d'ici 2023.
Exemples de formats cités :
--> Yalla Net'asha, (version arabe de Come Dine with me/ Un diner presque parfait) diffusée sur OSN
--> Beat your Host (pour MBC en Arabie saoudite)
--> Boom (format israélien de Keshet récemment vendu à l’Iran)
4- Le boom du brand content
Clare Thomson explique dans ce climat de productions télévisuelles bloquées, de budgets de programmation serrés et de diminution des revenus publicitaires en 2020, d’après K7, le brand content (programmations financées par les marques) devrait particulièrement exploser en 2021.
Alors que l’impact des spots publicitaires de la télévision linéaire s’érode, Clare Thomson souligne que les pressions financières supplémentaires de 2020 ont conduit les diffuseurs et les marques à redoubler d'efforts pour trouver de nouvelles façons de cofinancer et de co-développer une programmation originale et divertissante.
Elle note que différents territoires sont à différentes étapes de ce processus avec des contraintes réglementaires et d'audience variables d’où la complexité sur le fait d’avoir une image globale de l’avancée de cette tendance à l’échelle de la planète.
Ex : Supermarket Sweep (itv, UK) avec Tesco, Changing room (channel4, UK) avec la marque de peinture Dulux, Cherries Wild (Fox, USA) avec Pespi.
5- Le « Live stream » tend à se populariser
Clare Thomson note que le stream en direct fut une des solutions de repli des créateurs de contenus dont les productions étaient initialement dédiées à la télévision traditionnelle.
Ainsi les musiciens et autres stars se sont mis en ligne pour rester engagées auprès de leurs fans, attirant dans certains cas un public record. Clare Thomson cite par exemple le concert de Dua Lipa qui a généré près de 5 millions de vues, mais aussi le premier concert long format sur TikTok pour Justin Bieber.
Grâce à sa capacité à conserver une impression de statut « événement » au lieu de l'expérience « dans la vraie vie », le stream a ainsi séduit de nombreux nouveaux utilisateurs. Clare Thomson précise que cela concerne évidemment d’autres plateformes comme celle de stream sportif DAZN, ainsi que YouTube et Twitch, qui ont tous deux augmenté leurs productions originales en direct ces derniers mois.
6- Les programmes unscripted invoquant les nouvelles technologies en Asie
Victoria De Kerdrel rappelle qu’en 2020, la plate-forme de streaming chinoise iQIYI a lancé le tout premier spectacle de talents « idol virtuel » : Dimension Nova, où des mentors humains se voient sélectionnés pour travailler avec des talents virtuels.
Elle cite également le documentaire Meeting You, diffusé sur MBC en Corée du Sud, qui use de la réalité virtuelle pour connecter une mère à sa fille décédée. Elle souligne que malgré les nombreuses critiques suscitées par le documentaire, il constitue un exemple concret de rencontre entre télévision et technologie.
Victoria De Kerdrel s’est aussi intéressée à l’exemple du Japon, pays loin d’être étranger à l’intelligence artificielle et aux dernières technologies en matière d’unscripted.
K7, dans son rapport, cite Hide-and Seek with Drones de TV Asahi ou encore Human vs Drone de Fuji TV.
7- Les histoires de la vie quotidienne imprégnées de nouvelles perspectives sur le devant de la scène
Clare Thomson explique que face à la résurgence de mouvements pour que «les voix non représentées » soient entendues (tels que #BlackLivesMatter, ou encore #Metoo), K7 prend le pari qu’en 2021 de nombreuses productions raconterons des « histoires de tous les jours » avec un regard neuf.
Ex : la saga familiale Butterfly (autour de l’inclusion d'enfants trans) ou encore The last leg (Comédie britannique sur les athlètes paralympiques et qui normalise le handicap)
Questions
Ella Cohen (Newen) : Concernant le « brand content », la France fait effectivement partie de ces territoires où ces programmes sont compliqués à mettre en place pour des questions la législation :
1/Pensez-vous que la mise à l’antenne de tels programmes pourrait passer par d’autres stratégies ou règlementations ?
2/ À l’image de « Cherries Wild » sur la Fox en partenariat avec Pepsi, avez-vous en tête d’autres illustrations aussi marquantes en termes de brand content ?
Clare Thomson : Concernant la question de la législation en France, en effet, rien ne peut se faire sans que les États statuent pour le rendre possible, mais en même temps en rédigeant le rapport K7 sur le « brand programming » dans le monde, notre philosophie était justement de comparer les différents cas de figures selon les territoires. Et je pense que parce que le marché tv devient de plus en plus en plus internationalisé, certains de ces territoires vont finir par trancher en faveur de ce type de programmes (ou au moins commencer à faire des tests dans ce sens) afin de rester compétitif, ne serait-ce qu’au regard de ce qui se passe dans d’autres marchés, et la pression économique que cela pourrait engendrer. Dans tous les cas, nous voulons donner suite à ce rapport pour continuer à regarder de près ces évolutions. Si ce genre de programmes est fait en prenant en compte les juridictions avec attention, que le public est là, et qu’il y a un réel modèle derrière, il y a de fortes chances que ces programmes commencent à s’implanter davantage.
Victoria De kerdrel : Oui, il me semble que la grande question est l’implication des marques sur l’éditorial des programmes. Dans la plupart du temps, au travers des exemples que l’on a, elles restent assez en retrait.
Clare Thomson : Et évidemment, ça dépend du genre également. Dans le divertissement, comme c’est le cas de Cherries Wild, ou d’autres exemples asiatiques, où les marques sont souvent très présentes, le but pour les enseignes est surtout d’associer les valeurs de leurs marques avec les valeurs du show en question, et ce n’est pas « intégrer sans arrêt le logo de la marque partout » par exemple, comme cela peut être le cas en Asie. Les marques ont bien conscience de ce que les publics sur les différents territoires pourraient accepter.
Il semblerait que se détachent ainsi deux types de sensibilités: les États Unis/Asie d’un côté, et le l’Angleterre/Scandinavie/Allemagne de l’autre, où le « branding » est plus modéré, ce qui pourrait davantage convenir à un modèle français.
Ling JiaoMao (représente Nassima Boudi, pour WeMake) :Vous avez mentionné des pays comme le Japon, la Corée, la Chine, comme exemples de pays qui aiment à utiliser les nouvelles technologies, en usant de l’IA ou de la VR dans leurs programmes. Est- ce que vous voyez une tendance mondiale ? Pensez-vous que ce genre de programmes se verront adaptés sur le reste du globe ? Au Moyen Orient ? etc.
Victoria De Kerdrel : Oui, il me semble ! Pour ce qui est de l’Asie, c’est surtout l’Asie du Nord qui « drive » ! Pour ce qui est de l’Asie du Sud Est, l’Indonésie, la Malaisie, l’investissement est moins important, mais il y a clairement un intérêt de ces pays. Mais c’est vrai que les idées les plus folles, et les technologies les plus à la pointe commencent souvent en Asie du Nord.
Clare Thomson : Je pense que là encore, c’est une question de goût. Vous avez la version assez extrême en Asie (avec des animés, des avatars), et la version plus soft en grande Bretagne, où la VR sera juste utilisée pour « visualiser un projet de jardin » dans Made my garden perfect par exemple.
Aranud Pontoizeau : En France, on voit de plus en plus émerger des productions trans-media, comme par exemple des émissions diffusées à la fois en télé et en radio. Pensez-vous que ce genre d’émissions, voire formats, pourraient se développer davantage dans le monde à l’avenir ?
Clare Thomson : Oui, je pense qu’avec l’arrivée des podcasts, et effectivement les « cross overs » que l’on observe de plus en plus, il y’a définitivement quelque chose à faire concernant ce type d’hybridité. Je pense que les plateformes vont aussi beaucoup aider à cela par leur capacité d’intégrer tous ces médias au travers d’une même source, et qui, en plus, parle plus particulièrement aux jeunes. Je pense que c’est vraiment une histoire d’« expérience utilisateur », et de résonnance aussi avec l’histoire en question et le moment particulier. Mettre en place de tels programmes demanderait une vraie réflexion au préalable sur la meilleure manière de « vivre/expérimenter un contenu » pour l’utilisateur au vu de ces éléments.
Leith Louzir conclut en remerciant tous les intervenants pour cette discussion riche ! Il remercie tout particulièrement Clare Thomson et Victoria De Kerdrel de s’être prêtées à l’exercice, « exercice qui nous donne d’ores et déjà envie de savoir quelles seront leurs tendances retenues pour 2022 ! »
La prochaine session de veille de la Fabrique des Formats sera dédiée au « Cahier de tendances » d’Anne Bouisset. Elle aura lieu le mardi 16 mars à 18h sur Zoom.