RENCONTRE AVEC EMMANUEL KUSTER, CHEF DE PROJETS THE FICTION LAB
BIO : Emmanuel KUSTER, chef de projets – The Fiction Lab Issu d’une formation d’ingénieur télécom, le parcours professionnel d’Emmanuel Kuster le mène du secteur bancaire à l’industrie des médias, où il travaille notamment sur la production de films et de séries (LIAISON FILMS, FEDERATION ENTERTAINMENT). Quand l’intelligence artificielle et les neurosciences cognitives s’imposent au tournant des années 2015, Emmanuel Kuster s’intéresse à leurs applications dans l’audiovisuel et la production de contenus. Il intègre par la suite la startup THE FICTION LAB qui conseille producteurs et marques sur leurs contenus, avec des analyses cognitives. THE FICTION LAB : THE FICTION LAB accompagne tous les professionnels du secteur audiovisuel et numérique, auteur, producteur, diffuseur, distributeur, à tous les stades de développement des projets. Elle accompagne les professionnels avec des problématiques d’audience. La startup fournit aux professionnels des conseils et des outils permettant aux contenus et aux productions d’atteindre, d’attirer, de fidéliser et de satisfaire un public plus large. The Fiction Lab augmente ainsi toutes les performances de contenu pour générer plus de fiction, d’identification, d’intérêt, d’enthousiasme, d’émotion et une audience fournie, en même temps qu’un public fidèle. La spécificité ? L’appui des sciences cognitives pour construire des histoires et intrigues captivantes qui restent ancrées dans la mémoire du public.
LES INFOS À RETENIR :
- Les neurosciences cognitives s’intéressent à la manière dont l’information est perçue et mémorisée par le cerveau, et comment elle est utilisée pour prendre des décisions
- Emergence des sciences cognitives et de l’intelligence artificielle dans l’étude des publics
- L’objectif de The Fiction Lab : comprendre les mécanismes du cerveau, voir ceux qui ont une influence sur le comportement et peuvent être un levier pour la création
LE RÉSUMÉ :
L’action de The Fiction Lab se construit autour de deux questions : Est-ce qu’on peut prédire le succès d’un programme ? Est-ce qu’on peut réduire le risque d’échec ? Emmanuel Kuster souligne qu’il existe déjà des outils pour réduire le risque : d’abord le talent, puis le recours à l’adaptation d’un format étranger mais aussi la puissance marketing autour d’un contenu. Les neurosciences cognitives s’articulent autour de 3 pôles de recherche : - La recherche fondamentale - La recherche clinique - L’application à la vie civile de la recherche Il existe également un champ de la recherche qui s’intéresse à des biais cognitifs, c’est-à-dire les raccourcis de raisonnement qui sont fait (par exemple : tout ce qui est étranger est dangereux, tout ce qui est beau est bon…). Ces éléments sont utilisés notamment en marketing pour comprendre les comportements d’achat. Aujourd’hui les zones du cerveau sont bien identifiées, mais il y a peu de choses sur les émotions et la mémoire. Emmanuel Kuster explique que le cerveau est avant tout une machine à voir, il crée des images, pour des questions de survie liées à l’évolution. Il est ainsi très bon pour voir des formes dans la nature et l’être humain possède en conséquence un réseau de neurones spécialisé dans la lecture des visages et des émotions. On est par exemple programmé à réagir à quelqu’un qui a la pupille qui se dilate, et cela conduit à un regain d’attention. Emmanuel Kuster ajoute également des éléments sur la mémoire de travail, qui sert à retenir des informations de manière temporaire (ex : le calcul mental). Cette dernière est essentielle mais limitée, car elle a une capacité de peu de mots et une durée limitée (pas de mémoire de plus d’une minute). Regarder un film implique beaucoup d’informations à traiter. Les études montrent que le spectateur pourra suivre au maximum 800 mots par minute. Si on va au-delà, se développe un sentiment de complexité, donc le public décroche. A l’inverse, si on se situe bien en dessous, le cerveau est disponible pour faire autre chose. Alors, pour que le public regarde bien le programme, il faut être capable de saturer cette mémoire de travail. Trouver le niveau de complexité adéquat d’un programme Les études en neurosciences mettent en exergue un paramètre utile pour la création : le degré de complexité d’une histoire ou d’un programme. Une analyse précise d’un contenu permet de lui attribuer un nombre de points de complexité, par exemple un point de complexité peut correspondre à : - Un personnage actif - Une intrigue - Une règle de monde (propre à la série) Ce décompte permet d’établir un total pour chaque séquence d’un programme. L’idéal serait de tourner autour de 6 points de complexité. Travailler sur la prédiction Le cerveau est tout entier une machine à prédire, ce qui lui permet de sécuriser son environnement. Pour chaque décision, il y a une prédiction derrière. Un module du cerveau prédit ce qui va se passer et un autre module fait des corrections, il est chargé de rectifier pour la prochaine fois. En parallèle, l’incertitude génère du stress, ce qui augmente le niveau d’attention, jusqu’à un certain point seulement, sachant que la résistance au stress est variable selon les individus. Dans cette perspective, un contenu doit être capable d’offrir une bonne quantité d’incertitude pour retenir l’attention. Là encore, la question du dosage est essentielle (trop peu d’incertitude = ennui et l’inverse donne un sentiment de stress trop fort). Classification des points de stress : - Asymétrie d’information (quand le public sait quelque chose que le personnage ne sait pas) : 40 pts de stress - Dilemme : 30 pts de stress On estime que le thriller se situe autour de 220 pts de stress quand un film plus feel good sera généralement en dessous de 180. S’il existe une quantification scientifique, on observe que les auteurs le font de manière instinctive. La puissance des émotions Emmanuel Kuster insiste logiquement sur l’importance de l’émotion et détaille le triptyque : émotion, désir et prédiction sur la réalisation de cette émotion. Ainsi, chaque émotion renseigne sur le fait que le personnage a un but implicite. Il y a 4 situations qui génèrent à coup sûr des émotions : - L’injustice - La confiance trahie - La séparation du désir - La responsabilité et l’incapacité Ce qui donne lieu à des scènes d’admission, de compression, d’explosion et de discussion (le fait de revenir sur des explications). Le big five : un outil qui s’intéresse au profilage psychologique des personnes : Chaque être humain a 5 dimensions (des caractères a priori assez stables au cours de l’âge adulte) : - Névrosisme (stabilité émotionnel) - Extraversion - Ouverture à l’expérience (rapport au changement) - Agréabilité (ouverture aux autres) - Consciencieux (rapport à l’ordre) L’importance des questions Chaque question induite génère une onde spécifique dans notre cerveau. Ainsi, quand on regarde une série policière, on est confrontée à une série de questions. Emmanuel Kuster observe qu’en règle générale les personnes s’ennuient si elles n’ont pas au moins 3 questions ouvertes dans la tête. La méthodologie The Fiction Lab Quand on interroge les personnes, voici ce qu’ils souhaitent d’un programme : - Ne pas s’ennuyer - Ressentir des émotions - Apprendre quelque chose The Fiction Lab propose l’analyse d’épisodes clés afin de voir comment ils sont cognitivement structurés. La start up travaille par exemple sur l’architecture de questions d’un programme et établit un graphique indexant le nombre de questions ouvertes par séquence, ce qui donne un profil de courbe. Une courbe en montage est, par exemple, typique du drama. Emmanuel Kuster introduit enfin la notion de CFX, à savoir les effets cognitifs utiles pour des programmes audiovisuels, et donne plusieurs exemples : - L’asymétrie - Poser une question - Les traits de caractère - Les horloges métrique ou mentale (un décompte réel ou non) - Les relations - Les règles du monde - Le visage (en règle générale dans une fiction, 65% du temps à l’écran correspond à des visages) Cette liste d’effets fonctionne aussi pour des formats de flux (le maximum d’ingrédients le mieux). On observe par exemple qu’un format comme The Voice réunit beaucoup d’ingrédients à travers les auditions à l’aveugle, le temps de la chanson qui œuvre comme un compte à rebours mais aussi le stress éprouvé par la famille en coulisses ou encore la relation coach-talent. Emmanuel Kuster conclut en soulignant la spécificité de la France qui reste centrée autour de la culture de l’auteur, du créatif, mais que l’intuition peut être aussi soutenue par une connaissance précise des réactions de l’audience.