Compte rendu de la Masterclass de Lisa Perrin du mardi 8 janvier 2019.
En partenariat avec MIPFormats, Reed Midem et le médiaClub
Évènement animé par Nathalie Wogue
Nathalie Wogue interroge d’abord Lisa Perrin sur son parcours
Lisa Perrin est très heureuse de travailler dans les contenus. Chaque programme est un challenge, quelque chose de nouveau à chaque fois. Professionnellement, il faut se trouver dans les rencontres, il y a des moments propices, des accidents de parcours qui deviennent aussi des occasions. Lisa Perrin a exercé plusieurs métiers : producteur, distributeur, acheteur de formats…L’activité de producteur lui a beaucoup plu, car elle a un intérêt fort pour les contenus et la télévision en général. Lisa Perrin explique qu’elle a eu beaucoup de chance. Et lorsque Endemol et Shine ont fusionné cela a donné un bon mélange. Elle a aussi appris des femmes fortes. Pour réussir, il faut du talent (il en existe plusieurs types : avoir une vision stratégique, un talent artistique…) mais il faut surtout travailler, s’exercer, affûter ses qualités.
Nathalie Wogue souligne que le top management est essentiellement masculin et s’interroge sur la possibilité que cela constitue un problème.
Lisa Perrin reconnait qu’il y a beaucoup d’hommes aux postes stratégiques de direction mais estime que l’on peut dépasser cela et qu’il faut être plus intelligent que cela. C’est aussi et surtout une question d’éducation.
SON RÔLE AU SEIN DU GROUPE ENDEMOL SHINE
En tant que CEO des réseaux créatifs, cela implique la gestion de 120 sociétés, sur plus de 30 territoires. Comment son activité s’organise-t-elle ?
L’équipe est basée entre Londres et Amsterdam. Travailler sur plusieurs territoires est un enrichissement. Lisa Perrin organise des workshops, met au point des outils pour manager ses équipes créatives. Car il ne suffit pas de réunir de créatifs autour de la table, pour que les gens soient en confiance, ils ont besoin de bien se connaître.
Pour chaque paper format, le but est de le mettre à l’écran.
Il y a 17 labels au Royaume Uni, donc une bonne idée peut venir de n’importe où. Cela nécessite d’être à l’écoute et de préserver cette richesse.
Comment savoir si l’idée est bonne ?
C’est avant tout une intuition, liée à l’expérience, à la connaissance fine du secteur. Il faut aussi se poser certaines questions : est-ce que c’est un programme que je regarderais ? / avec ma famille ? / est-ce que c’est une bonne histoire ?
Pour cela il est indispensable de regarder soi-même la télévision et d’observer ce que fait la concurrence, quelles sont les nouveautés, les dernières tendances de programmes. On ne peut pas juger d’un programme audiovisuel si on ne connaît pas les contenus. Or, la plupart des responsables ne regardent pas la télévision ce qui est regrettable.
Lisa Perrin prend l’exemple de All together now, prochainement diffusé sur M6. Diffusé en juin 2018 au Royaume Uni, voilà un vrai format feel good, si joyeux que tout le monde l’aime et souhaite l’acheter. Au départ, BBC également était très convaincu, ils ont beaucoup investi dans le pilote. A l’arrivée, on obtient un show de 90 minutes, de grande envergure avec beaucoup de monde sur le plateau, du public donc a priori un format cher. Sur le papier on imagine difficile de le faire voyager. En Scandinavie, ils ont produit une version avec 25% du budget en moins grâce à une réelle efficacité dans la production et un usage malin des nouvelles technologies.
Grâce à la synergie du groupe Endemol Shine, il a été possible de produire des adaptations moins couteuses, tout aussi réussies. Le format est désormais présent en Australie, au Brésil, au Danemark, en Pologne et continue de progresser.
SUR LE MARCHÉ FRANÇAIS
Quels ont été les arguments qui ont convaincu M6 d’acheter le format ?
Lisa Perrin explique que les dirigeants de la chaîne avaient aimé The Hundred. Le format familial, feel good, chaleureux de All together now les a séduits, sa forme inclusive aussi.
Est-ce plus difficile de vendre des formats en France ?
La France est un territoire difficile pour les nouvelles créations même si cela évolue avec le développement de la SVOD. Néanmoins c’est un pays créatif avec de bonnes idées. Les changements sous l’impulsion d’acteurs comme Netflix seront intéressants à observer.
Est-ce un territoire stratégique ?
La France reste un territoire important, qui compte, car les professionnels regardent ce qui se passe en France. Stratégique aussi car les marges restent hautes. Cette situation risque également d’évoluer avec la SVOD.
Quels sont les spécificités des acteurs français ?
Lisa Perrin prend l’exemple de Big Bounce Battle, qui est une vraie prise de risque pour TF1. Il faut, selon elle, accentuer les efforts dans cette voie, prendre plus de risques et développer de nouveaux talents et des formats nouveaux. La France a l’image d’un territoire traditionnel qui doit désormais développer plus d’opportunités et les saisir.
Sur le plan de la création, Lisa Perrin note que de bons projets de fiction arrivent de France. Les Français ont un réel sens de la narration et des structures importantes. Sur le flux, il existe des grandes sociétés de production spécialisées, elles doivent être moins timides face aux opportunités.
Lisa Perrin est interrogé sur la tendance des show spectaculaires qui se développe aujourd’hui aux Etats Unis mais aussi en Angleterre et en France. Elle explique que le public est désormais habitué à un incroyable niveau de production. Prenons par exemple Titanssur NBC, la production value est époustouflante et donc très chère. En parallèle, Lisa Perrin estime que des petits formats sont aussi appréciés, et représentent de réelles opportunités pour ceux qui ne peuvent pas se permettre de produire des shows spectaculaires. La prise de risques est moins grande, du point de vue du diffuseur mais aussi du producteur. De plus, des formats plus petits – y compris des paper formats – sont plus faciles à vendre sur un plus grand nombre de territoires.
Pourquoi Big Bounce Battle est un bon format ?
Ce format possède une familiarité, une proximité avec les gens (tout le monde a un trampoline dans son jardin), les enfants peuvent jouer. Ils réalisent le même parcours que les adultes. Donc c’est une émission qui convient à tous et qui rassemble. Le format est plus inclusif et familial que Ninja Warrior ou Titans.
Afin d’éviter un sentiment de lassitude, peut-on envisager une programmation différente ? des saisons plus courtes ?
Si le prime time en France reste assez long, là encore, Lisa Perrin estime que les pratiques vont évoluer avec la SVOD et que les formats seront plus courts.
Selon K7, la prochaine tendance c’est « l’entertainment with a purpose » Est-ce que vous êtes à la recherche du « next big thing » ?
Sur les tendances, il faut être prudent. Lisa Perrin pense que les formats de dating seront toujours forts, les cooking show restent très populaires en France et en Allemagne.
La meilleure combinaison, c’est le mélange entre des gros formats internationaux, qui sont des marques puissantes, et des plus petits projets. Dans ce registre, Un diner presque parfait est le format le plus rentable de Channel 4 alors même qu’il est diffusé en journée.
« Si c’est une bonne idée les gens le savent vite ». Pour cela, il est primordial de renouveler le développement et de permettre aux créatifs de travailler dans de bonnes conditions. Les labels sont également intéressants.Etre au sein d’un grand groupe comme Endemol Shine, c’est réfléchir au-delà d’un territoire. Lisa Perrin a ainsi des perspectives globales et peut constater les performances d’un programme sur plusieurs marchés simultanément. Elle explique aussi réfléchir à un dispositif de pitchs, un peu sur le modèle de l’évènement organisé par Talpa, en essayant d’être inventif. Talpa a la chance d’avoir une chaîne laboratoire tel que SBS qui permet de tester des choses.
LA RELATION AUX NOUVEAUX ACTEURS
Les nouveaux acteurs, Amazon et Netflix notamment, semblent aujourd’hui s’intéresser au non scripted, ce qui est une évolution logique, c’est une continuité. Lisa Perrin observe que Netflix a su bâtir une marque très puissante, qui parle aux Millennials. Les plateformes sont d’abord reconnues pour leurs contenus fiction, mais ils feront également des essais sur le flux, dans la mesure où ces derniers observent aussi ce qui se passe à la télévision. Dans ce contexte, Endemol Shine a plusieurs projets avec Netflix, qui souhaite développer davantage de contenus locaux en langue originale. Concernant la collaboration avec la plateforme, Lisa Perrin explque : « sur le plan créatif on est très libre, en revanche les négociations d’un point de vue business sont très difficiles ».
TOP FORMATS
Largement en tête du classement, les deux formats les plus rémunérateurs du catalogue Endemol Shine restent Big Brotheret Masterchef, le premier est encore diffusé sur 20 territoires, 20 ans après sa création, le second est présent dans 60 pays. Cela témoigne aussi du goût du public pour les formats anciens, comme en témoigne le retour de Qui veut gagner des millions.
MANAGEMENT DE LA CRÉATION
Lisa Perrin insiste sur le fait que les créatifs doivent se sentir en sécurité, dans un environnement adapté, pour travailler dans les meilleures conditions, cela signifie avoir un contrat de travail et une rémunération au niveau. Les phénomènes de consolidations donnent également lieu à des suppressions d’emplois, il faut être vigilant. Il faut, en outre, les former sur la création de formats TV car cela ne vient pas tout seul et demande de l’expérience et du travail. Avoir des idées demande du temps. En tant que grand groupe, Endemol Shine a une responsabilité vis-à-vis du secteur.
PROTECTION DES IP
Cela reste un sujet épineux. Il existe en interne un formulaire de dépôt pour chaque concept développé. Mais globalement l’audiovisuel est un secteur où le réseau compte beaucoup, il faut avoir confiance en ses partenaires et choisir les bonnes personnes, auxquelles on peut se fier.
PHÉNOMÈNES DE CONSOLIDATION
Lisa Perrin estime que ce n’est pas près de s’arrêter. Si les rapprochements apportent de nouvelles opportunités, ils créent à l’inverse des mastodontes de la production et bouleversent le marché. Que se passera-t-il quand Netflix aura un studio ? Finalement être un petit producteur pourrait être un moyen de passer au travers de cette tendance.