En partenariat avec Think Out
En présence d’Olivier Levard
Session du 24/06/2020
Les écritures du Direct
BIOS Bertrand HOREL, Directeur d’étude chez Think-Out L’agence fondé par Jean-Maxence Graniertravaille sur les questions éditoriales et notamment sur la perception sémiotique des publics dans différents domaines du numérique et des médias. Dans le contexte post-covid actuel, Bertrand Horel nous propose une rétrospective sur la perception du « direct » par le public. Olivier LEVARD, Directeur du numérique chez 17 juin Média Après des études de journalisme au CFJ, et suite à ses activités au sein de la rédaction de LCI, de 2014 à 2017, il officie comme directeur des rédactions du groupe Melty. Auteur, producteur, et chroniqueur au Magazine de la santé, il est aujourd’hui chargé du numérique chez 17 juin média. Dernièrement le groupe a lancé la chaîne Snapchat Allô docteursqu’il vient aujourd’hui nous présenter. Présentation par B. Horel Les nouvelles formes de direct nées pendant le confinement ont-elles transformé le paysage télévisuel ?
- Horel se propose d’aborder la question en s’intéressant aux perceptions du direct entretenues par les téléspectateurs. Pour ce faire, il propose de distinguer différentes formes de direct :
1- Le direct cérémoniel Cette expression, inspirée des recherches de Dayan et Katz renvoie à l’archétype du direct, depuis 1953 et la retransmission en direct du couronnement de reine Élisabeth II. Le direct permet de faire vivre les « grands évènements » à distance, qu’ils s’agissent de couronnements princiers, de rendez-vous sportifs (ex : finale de NBA) , ou de variété ( ex : soirée de la Fête de la musique). Cette vue du direct renvoie au partage collectif d’un évènement ; le fait vivre les mêmes choses au même moment, de communier. Il semblerait que c’est cette valeur-là du direct cérémoniel qui constitue pour l’instant la plus-value de la télévision linéaire classique comparée aux plateformes, même si ces dernières commencent à s’intéresser aux retransmissions de droit sportifs. 2-Le direct « effet du réel » : Souvent le direct est perçu comme synonyme du « réel », étant donné que le « direct » sous-entend que « la chose se passe sous nos yeux, sans montages possible ». B. Horel prend l’exemple des chaînes d’information en continuqui mettent en scène cette confusion des deux termes. On peut généraliser cela aux grands rendez-vous d’information, et notamment aux JT, au point qu’ils sont en général associés à un créneaux horaires précis (ex : « le 20h »). B. Horel souligne que, paradoxalement, ces JT, qui retransmettent certes un présentateur en plateau en direct (étant donné l’impératif imposé par l’importance fondamentale de l’horaire) et qui reçoit parfois des invités, sont avant tout fait de reportages qui sont montés et préparés à l’avance, et qui ne constituent pas forcement du direct à proprement parler. Par ailleurs, il rappelle que le théâtre, en tant que fiction reste le meilleur exemple pour souligner la distinction entre le « réel » et une « action qui se déroule en direct ».
- Horel mentionneaussi lefaux duplex (ex : Quotidien) que l’on obtient via un effet de montage. Il simule l’effet du direct (donne une caution journalistique), et rend une impression de réalité.
D’après B.Horel cet exemple montre bien que le direct est aussi « une pédagogie des formes ». Il cite d’autres exemple qui soulignent la mise en scène du direct : 1/le « R » qui clignotepour manifester la sortie du direct en sport. Ce code qui n’existe plus aujourd’hui a été un moyen de distinction qui permettait d’éduquer le regard entre le ralenti (non- direct) VS le direct. 2/ La star Ac’a offert pour la première fois la possibilité d’assister à des cours de chant en direct en rendant « le temps de la pédagogie » diffusable à l’antenne, et faisant du rêve télévisuel de l’apprentissage au travers de la tv une réalité. 3/Les caméras de surveillancedisposées partout, et qui filment tout en permanence. 4/Le direct cérémoniel devient un faux directdepuis l’incident de Janet Jackson / Justin Timberlake ; Jo de pékin (avec un direct en léger différé de 3 minutes). B Horel rappelle d’ailleurs que depuis 2016, le léger différé du direct a même été acté. 3- « L’illusion du direct »
- Horel présente Le jeu télévisé comme l’exemple parfait pour illustrer cette illusion du direct : tous les signes du direct sont là (le public, qui au travers de l’effet miroir participe à l’impression de réel ; la régularité de l’horaire ; l’effet performatif du jeu) alors qu’évidement plusieurs émissions sont tournées dans une même journée et les jeux enregistrés bien en amont de leur diffusion.
Dans un autre genre, sans plateau, et sans public, l’émission Paris dernière va aussi dans ce sens au travers d’autres subterfuges : > La prise d’images amateur qui contribue à l’effet de réel > Le moment du tournage en extérieur nuit (qui coïncide très bien avec le moment et l’atmosphère de la case ou est diffusé le programme)
- Horel note que si l’émission est complétement montée, ces « éléments du réel », rajoutés aux effets « accélérés » au moment du montage donne l’impression que l’on vit une seule et même soirée en direct (et que rien n’a été coupé), avec des éléments inattendus venant ainsi souligner la promesse du programme : nous faire vivre « la folie des nuits parisiennes, où tout peut arriver ».
4- Le direct, comme construction d’une relation.
- Horel explique que c’est par exemple ce « rôle du direct » que l’on peut observer dans les talk/magazines comme C à vous, C’est dans l’air ou encore Le magazine de la santé qui offrent la possibilité d’assurer un lien avec le téléspectateur.
5-Le direct comme promesse
- Horel donne pour exemple la création de la chaine D8 (ex « direct 8 »), devenue C8, et de son émission phare Touche pas à mon posteanimée par Cyril Hanouna. Le direct devient un argument, une promesse de happening ouvrant la porte à toutes les éventualités ; une possibilité de sortie de route permanante cristallisée par la non-utilisation de prompteurs, la transgression des cases horaires, et la place à l’impro. B.Horel note que cet esprit transgressif du direct existait déjà à l’époque de Coucou c’est nousprésenté par Christophe Dechavanne.
Il rappelle que cette manière de concevoir le direct provient de ce qui fait l’ADN même de la radio. Or, aujourd’hui, la radio et de plus en plus filmée. Cela donne des émissions en direct, comme extension de la radio, qui pourraient rechercher une forme de dérapage. Il cite à cet égard Planète RAP. 6- Le direct, comme synonyme de flux B.Horel explique que le simple effet de linéarisation de la télévision donne l’impression du direct étant donné le flux continu proposé. 7-Les réseaux-sociaux et le direct B.Horel souligne que les réseaux sociaux ont apporté un changement fondamental au direct : le sens de la communication, puisqu’avec les RS, les téléspectateurs aussi peuvent prendre la parole. L’instantanéité et l’interactivité que permettent les réseaux sociaux sont perçus comme des outils d’une nouvelle forme de direct. 8- « L’effet covid » sur le direct Au travers d’un carré sémiotique, B. Horel introduit 4 formes du direct qui se sont développées suite à la dernière période de confinement que nous avons connue.
A/la télévision cérémonielle La tv linéaire classique a battu des records d’audience durant cette période B/le social média On a vu se développer une démultiplication des réunions de visioconférences à plusieurs (avec des applications dédiées : ex : House Party) C/la « télé-visio » Développement d’une télévision classique qui intègre les outils mainstream de visio. Au travers de ce terme, B. Horel designe l’hybridité : « image pro / image amateur » D/la « social tv » La télévision sort de son cadre habituel, pour s’adapter (dans le fond, comme dans la forme) au quotidien du téléspectateur. Tous en Cuisine avec Cyril Lignac sur M6 est le parfait exemple : une recette en direct depuis chez l’animateur au travers d’une émission qui se passe de plateaux et de public.
- Horel conclut son propos en rappelant l’idée fondamentale : le direct est autant un moyen technique qu’une construction éditoriale.
Questions Michael Mettoudi : Avec l’arrivée des plateformes (qui s’attaquent aussi à l’« unscripted »), diriez-vous que le « live » est devenu la seule condition de survie du modèle linéaire de la télévision ? B.Horel :oui, il y’a de fortes chances que l’on assiste à une forme de radicalisation. De ce point de vu là, la télévision classique offre quelque chose de non compétitif aux yeux des téléspectateurs, dans la possibilité de le laisser influer sur un programme (en votant par exemple, comme c’est parfois le cas en téléréalité diffusé sur le linéaire) J.M Graniernote que les plateformes, en proposant de la téléréalité, genre initialement diffusé sur le linéaire, ne peuvent s’emparer que des parties préenregistrées et montées de ce genre de programmes. Ainsi, il souligne que les parties « cérémonielles » en plateau, qui forment les interstices de ce genre de programmes et qui viennent personnaliser le lien avec le téléspectateur, sont l’exclusivité de la télévision linéaire. Ella Cohen : D’après vous, l’achat de droits sportifs constitue-t-il le « nouveaux far-west » (après la fiction, l’arrivée du unscripted) à conquérir pour les plateformes ? Si officiellement Netflix ne se dit pas forcément intéressé, B.Horel confirme que les droits de retransmission de Rolland Garros attribués à Amazon Prime vont dans ce sens. Il observe parallèlement que l’émergence de contenus liés au sport avec un caractère historique/évènementiel fort comme The last dance, permet à ces plateformes de récupérer l’aura médiatique dont dispose habituellement la télévision linéaire. Présentation de la chaîne Snapchat d’Allô docteurs par Olivier Levard Naissance d’Allô docteurs sur Snapchat Olivier Levard inscrit la naissance d’Allô Docteurs sur Snapchat dans la volonté de 17 juin de mettre à profit le savoir de fond comme de forme du Magazine de la santéqui existe depuis 20 ans afin de répondre à un maximum de questions que se posent le jeune public suite au Covid. Après la diffusion d’un épisode type, O. Levard explique la réussite de la version Snapchat de l’émission, étant donné l’habitude des équipes de travailler en direct. Aujourd’hui, l’émission compte plus d’un million de mobinautes. Il nous livre que Snapchat, convaincu par la capacité du contenu a intéresser un jeune public, devrait continuer à proposer cette chaîne sur sa plateforme au travers de futurs sujets plus « magazines ». 17 juin et Snap, une collaboration déjà ancienne Olivier Levard explique que la collaboration existe depuis longtemps au travers du programme 3 minutes pour une viequi rassemble un million d’abonnés. L’émission en est à sa 8ème saison, et est constituée des près de 80 épisodes. Il explique que 3 minutes pour une vie existe en tant que marque à part entière qui n’appartient à aucun diffuseur, même si évidement, 17 juin média travaille aussi avec des diffuseurs historiques sur des émissions assez récentes. C’est par exemple le cas de l’émission de Michel Cymes de 2èmepartie de soirée : Ça ne sortira pas d’ici. Olivier Levard explique que le challenge est surtout de rajeunir l’audience. Pour ce faire, le jour de la diffusion, la production propose des modules exclusifs sur Snapchat, mettant en scène les invités, pour inciter le public du réseau social à regarder l’émission en direct le soir venu. Questions/ Discussion B.Horel nous fait part de sa bonne surprise de voir que les médias traditionnels ont su s’adapter à la situation. Il souligne notamment la réussite et les initiatives de la chaîne France 4 via La maison Lumniet Okoo.Il est impressionné par le nombre de barrières « qui ont sauté » : Il se demande s’il y a une ligne fondamentale dans le processus de production que les diffuseurs s’interdiraient de dépasser ? Sur ce point, O. Levardinsiste sur la spécificité de Snapchat. Il explique que le réseau social est très regardant sur la qualité du contenu à l’inverse d’autres app similaires connues, notamment au travers de son offre média qu’est l’écrin : « Snapchat Discover » sur laquelle la chaîne est disponible.
- Levard précise qu’il a fallu 3 mois de négociations avec le réseau social pour aboutir à un accord. 17 juin a permis de répondre à leur besoin d’intégrer une entreprise française avec de vrais journalistes.
A ce sujet, O. Levard rappelle que si la maîtrise technique des outils s’est démocratisée, le plus complexe, c’est d’avoir des journalistes qui posent les bonnes questions. De ce point de vu là, il souligne aussi l’accompagnement de France Télévisions dans ce partenariat étant donné la dimension de service public d’informer les jeunes dans cette période particulière. Il est évident que la mise en place rapide d’un tel dispositif a nécessité d’être moins exigeant sur le plan technique, le plus important restant l’info. Mais O.Levard ne manque tout de même pas de souligner que, même dans la forme, le programme proposé reste particulièrement qualitatif : « il y a un juste milieu à trouver ! » Jean-Maxence Granier voit à cet égard la chaîne Snapchat de 17 juin comme un bel exemple d’hybride entre l’« ancien monde et le nouveau monde » dans le fait de mêler l’héritage d’un savoir-faire journalistique, et l’utilisation des réseaux sociaux qui permet d’acheminer le public vers des contenus classiques. Jean-Maxence Granier en profitepour résumer les points abordés relatifs au direct. Il explique que c’est un processus qui permet de jouer avec la grammaire télévisuelle en cela qu’il interroge : àLe statut de ce que l’on filme (fiction / réalité) àLes enjeux autour de la saisie (la force de l’image ; effet de vérité) àLa question du montage (les plans séquences ; ce que l’on choisit de montrer ou non) àLa question du plateau et la présence du public àLes éléments issus de la manière de consommer les programmes (collective, individuelle) àL’opposition « Réseaux sociaux VS télévision » ; Les « RS », engagent une dynamique multidirectionnelle (interaction + viralisation) à l’inverse de la télévision qui reste fondamentalement unidirectionnelle. B.Horel rebondit sur la question du « plateau », en rappelant qu’il s’agit d’un élément caractériel de la télévision linéaire, qui coûte cher, et dont la présence semble de moins en moins nécessaire. Il note à cet égard, que, comme l’ont montré de nombreux programmes durant la crise du covid, n’importe quel lieu peut aujourd’hui faire office de plateau tv, à commencer par la maison des protagonistes (à l’image de Tous en Cuisine avec Cyril Lygnac, où ce dernier a pu présenter l’émission depuis sa cuisine).Il explique que cela n’est pas nouveau, puisqu’à l’époque de Paris dernière, le fait de tourner en extérieur, l’ idée était de faire de l’anti-télé : « faire du Michel Drucker, mais sans le plateau ». Arnaud Pontoizeau demande à Olivier Levard si Snapchat constituait l’outil le plus pertinent pour faire un partenariat ? Olivier Levard répond quez Snapchat permet de toucher une audience de masse sans être « mélangé à tout le monde » (comme c’est le cas avec Facebook), et ce, d’autant plus que le programme de 17 juin apparait sur Discover, ce qui est une source de reconnaissance, mais aussi de visibilité. Il explique que 20 à 30 % des personnes qui se connectent tous le jours vont voir la vignette de l’émission. Arnaud Pontoizeau : 17 juin à t-elle l’ambition de devenir un Pure player comme Brut ? Olivier Levard répond que 17 juin se veut être innovant, et se voit en effet comme un Pure player spécialise dans la santé, mais aussi en ‘police justice’. Il explique que l’entreprise se réinvente que ce soit au travers de ses partenaires, ou de la cohérence éditoriale qu’elle met en place.
Fiona Bélier conclut en remerciant tous les intervenants pour cette discussion riche, qui s’inscrit dans la continuité de notre précédente session sur YouBLive. Elle précise que les échanges ont été enregistré. Elle clôt enfin la session en rappelant que le planning des prochaines sessions de veille de la Fabrique des Format sera prochainement communiqué.