Pouvez-vous présenter votre parcours ?
Après des études généralistes en suivant un DUT en Techniques de Commercialisation à Troyes, j’ai intégré l’EFAP pour un master en communication des médias à Paris. Cette formation a été suivie de deux stages qui ont marqué le début de ma carrière : un premier stage chez France 2, pour une émission télé. Un second pour rejoindre une nouvelle société de production qui serait présente au Festival de Cannes et qui avait besoin d’aide organisationnelle sur place. Ce premier Festival de Cannes a été une expérience inoubliable et j’y ai observé les débuts d’une industrie en pleine évolution.
En effet, l’année 2016 est marquée par un grand engouement autour de la réalité virtuelle. Cette même année, j’ai participé à la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE) appelé VR Connection, dédié à la production de contenus en 360° et réalité virtuelle, aujourd’hui un des acteurs majeurs de la structuration de la filière. Mon rôle consistait à épauler les deux fondateurs en structurant la société, en gérant les démarches auprès du CNC, et bien plus encore. Tandis qu’ils se concentrent sur la créativité et la recherche de financements et partenaires. Ces deux années, intenses et riches en enseignements, ont été extrêmement formatrices.
En 2018, malgré ma fascination pour la VR, mon envie de travailler dans le cinéma a pris le dessus. Le cinéma a toujours occupé une place centrale dans ma vie : dix ans de théâtre, six années de bénévolat au Festival de Cinéma de ma région à Troyes, où j’ai été jurée et lauréate d’un prix pour un court-métrage mais aussi chroniqueuse pour le podcast du festival. Pourtant, à mes débuts, je considérais cela comme un hobby, et non comme une opportunité de carrière.
Au sein de la VR Connection, j’ai eu la chance de travailler dans un lieu unique : Commune Image, Fabrique de Cinéma. Cet espace regroupe tout ce qu’il faut pour réaliser un film, de l’écriture à la production, en passant par la location de matériel, la post-production et une salle de projection. Ce cadre m’a permis de collaborer avec des professionnels très divers et complémentaires. C’est ainsi qu’une équipe en distribution, avec laquelle j'avais déjà travaillé sur des projets en réalité virtuelle, m’a proposé de devenir responsable des partenariats pour accompagner la sortie du film de Thomas Pesquet, 16 Levers de Soleil : new challenge accepted !
Pour la suite, je vous en parle plus tard ;)
Quand avez-vous commencé à vous soucier de l’écologie dans l’audiovisuel ?
En 2018, l’écologie était encore peu abordée dans le domaine de la production audiovisuelle, mais les contradictions étaient déjà présentes. Envoyer des caméras dans l’espace pour filmer, malgré une empreinte carbone gigantesque, ou y expédier un saxophone étaient des choix sur lesquels je commençais sérieusement à m’interroger. Ces observations ont éveillé ma curiosité pour l’éco-responsabilité. À l’époque, j’étais presque la seule dans mon équipe à m'intéresser à ces sujets, malgré une sensibilité plutôt générale. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le collectif Ecoprod et son guide publié en 2014.
Comment avez-vous intégré l’éco-responsabilité dans votre parcours professionnel ?
Mes débuts en régie ont consolidé mon intérêt pour les tournages. Lorsque j’ai travaillé sur un court-métrage produit par France 2 et La 25 ème Heure en tant que régisseuse générale, j’ai découvert cette passion pour le poste de régisseuse qui alliait tous les enjeux organisationnels, logistiques et de bien-être autour de l’équipe. Pour mieux comprendre tous ces enjeux, j’ai suivi une formation accélérée en production audiovisuelle au CEFPF. Mon ambition était claire : valider cette formation avec un stage au sein d’un acteur de la transition de notre secteur. En 2019, j’ai également suivi le Pass Ecoprod, seul initiation disponible pour les profesionnel.les. à l’époque. En effet malgré l’existence d’Ecoprod depuis 2012, les initiatives concrètes restaient rares mais j’ai décroché un stage chez Secoya Eco-tournage et j’y ai mis toutes mes compétences à contribution : j’ai développé leur stratégie de communication et participé à quelques tournages mais aussi travaillé sur l’étude d’impact européenne GreenScreen et la certification BCorp.
Cependant, la pandémie de 2020 a bouleversé mes projets. Afin de rester proche des tournages, je suis devenue référente Covid. Ce rôle, bien que peu gratifiant, m’a permis d’acquérir une compréhension approfondie des besoins et enjeux des équipes techniques et de proposer des solutions adaptées, tout en souhaitant intégrer des pratiques éco-responsables.
En 2021, c’est justement sur le tournage de Les Têtes Givrées que j’ai pu combiner mon rôle de référente Covid avec des démarches éco-responsables, grâce au soutien de la production (Bonne Pioche). Cette expérience a renforcé ma pédagogie et ma capacité à collaborer avec les équipes.
Mon rôle a pris de l’ampleur sur des projets comme “Perce-Oreille” et une mini-série CNC Talent “Intersection(s)”, où j’ai intégré, en tant que régisseuse générale et/ou directrice de production des principes d’éco-production avec l’appui des producteurs. Ces projets m’ont permis d’affiner mes méthodes et de démontrer que l’éco-production pouvait être bénéfique, tant sur le plan environnemental que financier.
Après plusieurs années en tant que régisseuse, j’ai commencé à refuser les projets qui ne s'intégraient pas dans une démarche responsable. Cela m’a fermé des portes et m’en a ouvert de nouvelles.
Parmi mes expériences récentes, travailler sur The New Look, une production Apple avec plus de 250 personnes sur le tournage chaque jour, a été une étape décisive. J’ai structuré une stratégie éco-responsable en cours de route, mis en place un tri rigoureux des déchets et collaboré avec les équipes décoration, craft et cantine, de mise en scène ou encore des transports pour intégrer des pratiques durables : 60% de mon temps a été consacré à la sensibilisation et la communication autour de la démarche. Un reporting clair était envoyé à la production pour suivre la progression de la démarche chaque semaine. Et oui, ce n’est pas parce que c'est un gros tournage que les efforts et le bon-sens ne doivent pas être valorisés.
Malgré mon départ anticipé, j’ai recruté une remplaçante compétente que j’ai formée (Agathe Ricart) qui a pu poursuivre et approfondir les initiatives.
Ma dernière expérience hybride sur un tournage d’envergure à été sur le projet Ourika (Amazon Prime), les rôles de coordinatrice d’éco-production, de référente covid et de responsable Health & Sécurity ont été un véritable challenge.
Quelles sont vos missions actuelles chez A Better Prod ?
J’ai rejoint A Better Prod - fondée par Alison Begon - en 2023, en tant qu’Impact manager dédié à la fiction et au documentaire.
En 2024, je suis officiellement devenue associée et directrice des opérations.
Nous accompagnons les productions cinéma, pub et TV dans leur transition écologique et sociale (Bilan carbone, label Ecoprod, sensibilisation & formation, parité et inclusion, protocole VHMSS…) en encadrant aussi les différents Impact Managers et coordinateur.ices d’éco-production dans la mise en place sur le terrain.
Les enjeux sociaux sont indissociables des préoccupations environnementales et nous permettent d’anticiper les obligations CNC en cours de déploiement ainsi qu’aider les professionnel.les à structurer leur démarches.
L’idée aujourd’hui est aussi de créer des liens avec des partenaires et d’accompagner la transition des prestataires pour rendre plus accessible financièrement la démarche.
Comment formez-vous votre équipe pour accompagner les productions ?
Nos Impacts Manager sont tous issus du milieu du cinéma ou de l’audiovisuel.
Ils participent à notre Training Day (journée d’échange et présentation du fonctionnement et outils ABP) et tous les premiers projets se font en duo avec l’impact manager senior. Nous faisons en sorte d’identifier la bonne personne en fonction de la typologie du projet et du niveau de maturité des équipes dans leur transition.
Pour les protocoles VHMSS, nous avons formé huit membres en interne avec l’Atelier Marcelle, dont plusieurs impacts managers récurrents.
Ces professionnels, souvent indépendants ou intermittents, sont qualifiés pour la gestion des projets qui couvre l’ensemble d’une démarche responsable.
Comment adaptez-vous votre accompagnement aux besoins des productions ?
Nous offrons un accompagnement totalement sur mesure, pensé pour répondre aux besoins et aux budgets de chaque production. Pour les projets avec des ressources limitées, nous priorisons les actions essentielles : sensibiliser les équipes et réaliser un bilan carbone précis. Dans ce cadre, nous auditons les pratiques avec les chefs de poste, identifions leurs prestataires et proposons des alternatives responsables. Cependant, la mise en œuvre reste à la charge de la production.
Pour les productions souhaitant un suivi complet, nos impact managers prennent en charge l’intégralité du processus. Cela inclut la sélection des prestataires, la négociation et les devis, l’évaluation des besoins organisationnels, et une mise en œuvre clé en main. Nous collectons également les justificatifs et supervisons toutes les étapes de la démarche. Cette approche garantit une éco-socio-production optimisée et un suivi exhaustif.
Le principal obstacle reste le budget. Cependant, nous aidons les productions à contourner cette contrainte en les accompagnant dans la recherche de financements responsables. Nous pouvons travailler notamment sur l’obtention des éco-bonus, comme ceux proposés par la région Île-de-France, et développons des partenariats avec des marques engagées. Cela permet d'allier engagement écologique et visibilité pour la marque, tout en réduisant les coûts pour la production.
Depuis deux ans, nous avons tissé des liens privilégiés avec des partenaires et prestataires partageant notre vision responsable. Ces collaborations offrent aux productions un accès à notre annuaire responsable, qui peuvent inclure des avantages financiers ou logistiques négociés. Cette approche rend l’éco-socio-production plus accessible,
Notre objectif est d’accompagner durablement l’industrie dans sa transition écologique, en prouvant que la responsabilité environnementale et sociale peut aussi être synonyme d’efficacité et de rentabilité.
Un des défis majeurs réside dans le moment où les productions nous contactent, souvent trop tard dans leur processus. Les financements étant déjà bouclés, il devient difficile d’intégrer une démarche responsable au budget initial. Parfois, les productions désignent des éco-référents non formés ou sensibilisés, ce qui alourdit considérablement la charge de travail. Par exemple, lorsque les données sont mal collectées, nous devons recontacter les prestataires ou membres de l’équipe pour récupérer les informations nécessaires et produire un bilan carbone complet.
Il arrive également que des stagiaires ou des auxiliaires de régie soient assignés à la collecte des données, sans préparation adéquate. Bien que cela complique notre tâche, nous faisons tout notre possible pour pallier ces lacunes et garantir un résultat de qualité pour que les productions n’essuient pas ces écueils à nouveau.
Comment évolue le métier d’impact manager?
L’éco-socio-production est en constante évolution et ouvre des perspectives passionnantes. Notre ambition est quelque part d'atteindre un point où nos services ne seront plus nécessaires, mais de nouveaux défis émergent sans cesse. Qu’il s’agisse de films à impact, de problématiques liées à l’intelligence artificielle, ou encore de projets d’animation et de jeux vidéo, le champ des possibles ne cesse de s’étendre à toutes les industries culturelles et créatives.
Pour faciliter le travail des équipes sur le terrain, nous développons une application dédiée. Ce projet ambitieux demande du temps et des ressources financières, mais il représente une avancée cruciale pour professionnaliser notre métier, autonomiser la collecte de données pour les équipes et optimiser nos interventions. Nous collaborons aussi avec d’autres acteur.ices du changement, non pas comme concurrents, mais comme partenaires. Nous fonctionnons comme un département à part entière dédié à l’éco-socio-production.
Ces collaborations nous permettent d’offrir un cadre structuré, un soutien psychologique et des outils adaptés aux Impact Managers. Nous souhaitons nous engager également pour que les coordinateurs d’éco-production et impact managers soient reconnus dans la convention collective, garantissant une juste rémunération et une véritable reconnaissance professionnelle.
Ce métier est majoritairement exercé par des jeunes femmes, qui représentent 66 % des professionnels selon une étude d’Ecoprod publiée en avril 2024. Bien que nous visons la parité, il reste difficile de recruter des hommes dans ce domaine.
Nous observons également une différence générationnelle. Les jeunes générations adhèrent plus facilement à ces démarches, tandis que certains professionnels expérimentés opposent encore une certaine résistance, avec des arguments comme : « On a toujours fait comme ça, pourquoi changer ? ». Ce processus de transition peut être comparé au passage de la pellicule au numérique, qui a demandé une refonte complète des pratiques. Aujourd’hui, nous devons adopter une démarche similaire pour préserver les ressources naturelles, indispensable à notre industrie.
Pourquoi ce métier a-t-il autant de sens pour vous ?
Je pense qu'il est important de donner du sens au métier que l’on exerce et que travailler chez A Better Prod, c’est contribuer à une industrie plus responsable tout en créant un impact positif. J’ai la certitude que ce métier est essentiel.
Notre environnement de travail est fondé sur la bienveillance, l’intelligence collective et la collaboration. J’ai conscience de la chance que j’ai d’évoluer dans un environnement comme celui-ci malgré la réputation du secteur audiovisuel et cinématographique et dans la tourmente sociale dans laquelle il se trouve actuellement.
Nous élargirons notre champ d’action aux industries culturelles et créatives, telles que la réalité virtuelle, immersive ou les jeux vidéo (finalement, la réalité virtuelle reviendra dans ma vie et la boucle sera bouclée ;)).
Interview conduite et article rédigé par Esther Douay