Dans un monde où l'intelligence artificielle (IA) s'impose de plus en plus dans de nombreux domaines, y compris l'industrie audiovisuelle, une question cruciale émerge : l'IA révolutionne-t-elle réellement l'écriture des projets ou n'est-elle qu'un simple outil parmi d'autres ?
Jérôme Genevray, ingénieur en informatique devenu scénariste par passion, nous offre une perspective nuancée sur cette question.
Tout d'abord, permettez-moi de détailler un peu mon background. Je suis venu à l'écriture comme passage obligé pour réaliser un premier long métrage, et j'y suis resté par passion. J'ai fait des études d'ingénieur dans l'informatique, et mon point d'entrée dans l'écriture a été l'aspect analytique et modélisatoire d'une histoire. Après avoir co-écrit "La Nuée", j'ai collaboré avec Ubisoft sur la narration. C'est dire si l'IA avait tout pour me séduire. Et pourtant, je ne suis ni béat ni inquiet devant cette technologie. Ce n'est pas une révolution, mais un outil puissant pour challenger ses idées et ses créations, prendre un certain recul sur l'intrigue, pointer les faiblesses structurelles d'un récit, soulever certaines incohérences des personnages. Mon utilisation typique de l'IA : si elle résume assez bien ce que j'ai écrit (c'est à dire qu'elle génère une synthèse pertinente des grandes lignes de l'histoire), c'est que j'ai pas mal réussi mon boulot de scénariste et ai correctement dramatisé mes scènes. Je l'utilise donc comme un premier lecteur. L'IA trouve la plupart du temps que ce que l'on a écrit est réussi, cela fait du bien à l'égo. Mais pour un regard vraiment critique et exigeant, mieux vaut se confronter à un humain.
L'IA est, tant qu'il n'y aura pas un changement de paradigme technologique, un puissant outil de synthèse et d'analyse, mais pas plus. Je ne crois pas à une possibilité de remplacement des scénaristes et des créateurs, car l'IA fonctionne sur deux piliers qu'il faut toujours avoir en tête : un corpus (c'est-à -dire une gigantesque base de données de livres, écrits et récits) et des statistiques complexes. Autrement dit, l'IA est conservatrice et propose des solutions dans la moyenne de ce qui s'est déjà fait. La créativité provient d'association d'idées et de rebonds imprévisibles de l'esprit (dans un cadre défini par le genre choisi, le thème et les personnages), pour paraphraser Alain Damasio.
L'IA n'est pas créative, elle ne comprend rien à ce qu'elle génère (textes, images ou vidéo). Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, il n'y a pas d'intelligence ni de magie, mais juste des algorithmes. L'IA est assez efficace pour diagnostiquer les points faibles, mais ses suggestions de corrections sont sans intérêt.
S'il s'agit de refaire grosso modo ce qui existe déjà, dans une volonté vaine de reproduire un succès passé, l'IA peut mâcher le travail. Et encore, le résultat sera terriblement naïf. Demandez à l'IA d'écrire des dialogues, c'est à mourir de rire.
En ce qui concerne le thème d'une histoire, ce sous-texte organique et inspirant, l'IA passe complètement à côté. Sauf si c'est explicite... ce qu'on ne souhaite pas en tant qu'auteur.
Difficile à dire, les technologies avancent rapidement. Pour le scénariste, on a déjà des outils qui permettent des analyses complexes et précises d'une histoire, ou la possibilité de dialoguer avec ses personnages (s'ils ont été correctement caractérisés).
Pour le réalisateur, générer rapidement des maquettes de scènes avec Luma et Runaway Gen 3 est formidable. LTX.studio ou Katalist.ai permettent de faire des storyboards animés ou des animatiques, avec de nombreux paramètres pour obtenir assez bien ce que l'on cherche. Le domaine des trucages numériques avec l'IA progresse aussi à grand pas.
Non. Mais c'est comme si vous me posiez la même question concernant l'avènement de l'ordinateur et des logiciels d'écritures. Oui, c'est génial pour écrire un script, collaborer, etc. Est-ce essentiel dans mon processus créatif ? Non, je pourrais utiliser une machine à écrire (mais je pataugerais plus). Même réponse pour l'IA. Je l'utilise souvent, c'est stimulant pour la création et permet de gagner un peu de temps mais je pourrais m'en passer.
Je suis un passionné de narration, je m'interroge davantage - comme le dit si bien George Miller (Mad Max) - sur le "pourquoi racontons-nous des histoires que sur le comment". Et le pourquoi, c'est une question que seuls les humains se posent.
En conclusion, l'exploration de l'intelligence artificielle dans l'écriture de formats audiovisuels soulève des questions fascinantes sur l'avenir de la créativité et de la technologie. Jérôme Genevray nous offre une perspective éclairée sur le sujet. Bien que l'IA présente des avantages certains, notamment en tant qu'outil d'analyse et de soutien dans le processus créatif, elle reste loin de pouvoir remplacer la profondeur et la complexité de l'esprit humain.
Nous tenons à remercier chaleureusement Jérôme Genevray pour son temps et ses réflexions précieuses. Son regard critique sur l'IA offre une vision réaliste de ce que cette technologie peut – et ne peut pas – apporter à l'écriture et à la création audiovisuelle.