Gabriela Lemoine est directrice d’Accentus Language Services, extension de son agence basée au Royaume-Uni et spécialisée dans la communication interculturelle pour les entreprises britanniques et européennes exportant en Amérique Latine, aux États-Unis et au Canada. Elle est entre autres, à l’origine de travaux de traductions et d’adaptations de stratégies marketings pour de grandes marques transnationales telles que Samsung, Levis, ou encore Microsoft.
Contextualisation et enjeux d’adaptations de stratégies marketing des marques.
L’exemple de McDonalds
Gabriela Lemoine commence par illustrer son propos à travers l’exemple canonique de McDonalds. En tant que première franchise transnationale, les illustrations d’adaptation de la stratégie marketing de la firme sont nombreuses.
Slogan
Gabriela Lemoine souligne que les traductions du célèbre slogan « I’m loving it » ne sont que très rarement des traductions littérales.
Si en français la nuance est subtile (« I’m loving it » se traduisant littéralement par « j’aime ça », ce qui rendrait la chose banale, à la différence de « c’est tout ce que j’aime », version finalement retenue, qui retranscrit davantage l’aspect passionnel), Gabriela Lemoine explique que la version espagnole s’éloigne davantage, « me encanta » (slogan choisi pour les régions hispanophones), se traduisant littéralement en anglais par « it charmes me ».
Pub télé
Parallèlement, Gabriela illustre son propos via une comparaison de deux versions d’une publicité télé datant de 2003 pour la firme : la version allemande et la version diffusée en Amérique latine. Alors que la continuité entre les deux spots est flagrante avec l’utilisation de la même « mélodie signature », elle pointe des différences notables. Alors qu’en Allemagne la musique de la firme est reprise par des voix d’hommes, rappeurs avec un style « underground » très caractéristique des groupes allemands sur un magnéto en noir et blanc, la version latino-américaine, elle, est plus colorée avec des rythmes de salsa et du piano.
D’autres exemples
Gabriela Lemoine évoque d’autres exemples de supports où l’on retrouve ce même souci d’adaptation à l’image des BD Spiderman et des bouteilles de Coca cola.
Spiderman et la bande dessinée
Elle cite d’abord la version indienne de la bande dessinée Spiderman, où le nom du héros n’est plus Peter Parker, mais a été adapté en un nom local. Elle prend l’exemple de deux unes de magazines, où l’on constate que la tenue du célèbre super-héros a évolué pour un style indien plus traditionnel. Il en va de même pour le « set-up », où les paysages de Manhattan laissent place aux tours du Taj Mahal sur un des deux magazines.
Coca Cola et le packaging
Gabriela Lemoine prend aussi l’exemple de la célèbre campagne de Coca-Cola qui a consisté à écrire les prénoms de ses consommateurs sur l’étiquette de ses sodas. Si celle-ci a pu être réalisée mondialement (puisque le fait d’avoir un prénom est universel), il a évidemment fallu prendre en compte le fait que chaque région possède ses traditions de prénoms.
Deux erreurs à éviter quand on adapte un contenu
- Ne pas offenser : ex de Puma
Gabriela Lemoine illustre son propos avec une anecdote concernant la multinationale Puma qui voulait créer une paire de chaussures aux couleurs du drapeau des Émirats Arabes Unis. Or, cela a été pris comme une insulte à la nation, et la marque a dû présenter ses excuses.
- Ne pas paraître ridicule : ex de Mitsubishi
Gabriela Lemoine explique que la marque de voiture a voulu commercialiser le modèle d’un de ses véhicules (« Panjero ») sans changer son nom d’un territoire à l’autre, dont l’Espagne. Or en espagnol, « Panjero » se traduit littéralement en anglais par le terme peu élogieux de « wanker » (littéralement « branleur » en français). Le nom du modèle a finalement été modifié dans les pays concernés.
L’importance du « branding »
Gabriela Lemoine souligne ainsi l’importance des noms de modèles, des titres ou des marques. Elle souligne à cet égard la question des sonorités et de la phonétique qui revête parfois une importance pour les grandes transnationales, qui se doivent de trouver des noms prononçables aux quatre coins du globe. Elle évoque ainsi une nouvelle fois l’exemple de Coca-Cola dont la traduction phonétique en mandarin, « kekekenlà » était incohérente d’où la décision d’opter pour une version phonétique proche (« Ko kou Ko le ») avec du sens, littéralement en anglais « happy mouth drink ».
Dix pour Cent : différentes adaptations du format de fiction
Gabriela Lemoine propose dans un second temps une Étude de cas autour de l’adaptation de la série française Dix pour cent. Le format de fiction s’est exporté à l’international et a dû évidement s’adapter auxlangues mais aussi aux pratiques culturelles, que ce soit dans le choix des titres, des sous-intrigues à conserver, voire dans le ton.
Version française VS version québécoise
Pour comparer ces 2 versions du format connu internationalement comme « Call My Agent » (« Dix pour Cent » pour la version française, et « Les invisibles » pour la version Québécoise), Gabriela Lemoinepropose de confronter leurs bandes annonces respectives.
à Elle énumère ainsi les différences notables au-delà des titres : l’identité des guests ; la musique ; le ton davantage de comédie et moins dramatique de la version québécoise ; les accents et expressions utilisés. À cet égard, elle évoque un autre format de fiction connu mondialement, la série The Office, qui existe également en deux versions dans une même langue : la version américaine et la version britannique. Elle rappelle que ce genre d’exemples où 2 versions d’un même format existent dans une même langue permet de souligner la notion de « distance culturelle ».
à Elle note néanmoins une continuité dans la mise en avant des 4 personnages principaux, « agents de stars », avec cette même promesse de découvrir les coulisses du « show business », ainsi que dans le processus initial d’intégrer à chaque épisode une star locale qui joue son propre rôle.
De manière générale sur l’adaptation de la série, et pour souligner les différences dans les intrigues respectives, elle distingue deux leviers :
- L’aspect linguistique
- Elle note la complexité de retranscrire les « jeux de séduction » qui existent dans la relation entre Mathias, « l’agent de star en chef » et Noémie, son assistante : (le « tu » et le « vous » notamment, distinction qui n’existe pas dans toutes les langues).
- L’utilisation de certaines expressions : (« vous avez couché, couché ? » qui joue sur le double sens du mot « coucher »).
- L’aspect sociologique
- La présence d’acteurs connus uniquement localement (Cécile de France, connue beaucoup plus largement en France).
- Tout l’imaginaire autour du « contrôle fiscal » qui est très franco-français.
- Le statut du prénom de Camille, aussi bien masculin que féminin, et qui impacte l’intrigue au-delà de la saison 1. Or ce nom de personnage a été déterminé au tout début.
Version Indienne (Bollywood)
Gabriela Lemoine propose d’illustrer son propos aussi via une version plus éloignée culturellement : laversion indienne.
Elle explique, suite au visionnage de la bande annonce, qu’un tel exemple lui permet de distinguer 2 étapes dans l’adaptation d’une série :
1/ Le fait de se poser la question de la structure, et/ou de l’histoire suffisamment universelle, de son ton, de sa promesse qu’il faut absolument perpétuer.
2/ Le fait de voir quel élément est nécessaire de changer pour des raisons de compréhension, ou de mœurs. Elle évoque par exemple l’homosexualité de l’héroïne principale, dont l’adaptation dans des territoires où cela reste encore un sujet sensible nécessite des revisites. Elle explique que cela peut par exemple passer par le fait de changer les caractéristiques des personnages : l’héroïne peut par exemple être présentée comme vegan. Elle profite aussi de cet exemple pour rappeler qu’il est impératif de travailler au moins en collaboration avec des scénaristes locaux.
Interactions et questions
Leith Louzir demande quelles sont les étapes aujourd’hui à suivre pour un producteur qui sait qu’il veut développer une série pour l’exporter en tant que format à l’international.
Gabriela Lemoine propose un processus résumé en 3 étapes :
1/ Quel pays ? Quelle culture ?
Elle explique qu’il faut d’abord statuer sur la région où l’on souhaite proposer le format. Elle souligne qu’il vaut mieux au début favoriser le fait qu’elle ne soit pas trop éloignée culturellement. Moins une culture est éloignée, plus la réadaptation est simple, même si cela implique dans tous les cas un minimum de changements.
2/ Aller sur les marchés et commencer à parler du projet aux producteurs étrangers en question.
3/ En partenariat avec un producteur local, trancher sur les éléments structurants à intégrerimpérativement dans les versions étrangères et avoir en tête les autres éléments de la série dont les propensions à pouvoir être modifiés sont plus fortes.
Leith Louzir remercie Gabriela Lemoine pour ses explications et son exposé très riche. Il conclut en remerciant aussi tous les participants et précise que la prochaine rencontre de la Fabrique des Formats aura lieu le 16 novembre prochain sur Zoom. Il s’agira d’une rencontre « cahier des tendances » présentée par Anne Bouisset.