Quel est votre parcours ?
J'ai commencé par des études de publicité. Ensuite, j'ai repris des études de cinéma pour devenir réalisateur. Mon premier job était stagiaire décorateur à la Roue de la Fortune, où je collais les étiquettes de prix sur les cadeaux que les participants recevaient. Grâce à cette expérience, j'ai été recruté par l'émission Le Juste Prix (le plateau d'à côté), où j'ai travaillé pendant trois ou quatre ans en tant qu'assistant décorateur responsable des vitrines.
Après quelques années, j'ai démissionné pour écrire des jeux. J'ai proposé mes créations à des sociétés de production, notamment Freemantle, où j'ai acquis une vaste culture des jeux après avoir été embauché. J'ai ensuite collaboré avec ALP sur Fort Boyard et Koh Lanta, et avec la Française des Jeux pour des adaptations comme Le Millionnaire. Mon premier jeu à l'antenne était un jeu pour enfants sur TF1, produit par Big Nose.
Plus tard, je suis passé chez Télé Images Productions, dirigée par Simone Harari, qui a optionné mon jeu SLAM. Après le rachat de Télé Images par un plus gros groupe, j'ai suivi Simone chez Effervescence, où nous avons continué à développer SLAM. Au MIP, j'ai rencontré Corinne Fix de France 2 et lui ai présenté Tout le monde veut prendre sa place. Le concept a séduit France Télévisions, qui a demandé un pilote avec Nagui comme animateur. Le jeu a été diffusé pour la première fois en juin 2006, après plusieurs années de développement et de négociations.
En résumé, mon parcours est une progression de la publicité au cinéma, suivie de diverses expériences en télévision et dans la création de jeux, jusqu'à la diffusion réussie de Tout le monde veut prendre sa place.
Et en parlant de projets que vous avez créés, est-ce que vous pouvez aussi nous parler des projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?
Actuellement, je travaille sur plusieurs projets de jeux qui intègrent davantage d'éléments de "soap". J'ai introduit cette approche avec Tout le monde veut prendre sa place en étant le premier à inclure un personnage récurrent dans un jeu télévisé. Cette innovation a montré que les jeux pouvaient aussi raconter une histoire, et pas seulement être animés par quelqu'un posant des questions.
Depuis, nous avons intégré ces éléments récurrents dans d'autres jeux, car nous avons compris l'importance de la narration dans ce format. Aujourd'hui, je développe des jeux qui vont encore plus loin dans cette direction, en ajoutant plus d'éléments de soap.
En parallèle, je travaille sur des projets plus spectaculaires destinés aux prime times. Ces jeux se concentrent sur l'émotion et le spectaculaire, une autre tendance actuelle dans le domaine des jeux télévisés.
Quel est le rôle de La SAJE dont vous êtes président ?
La SAJE est une société d'auteurs, similaire à la SACEM ou la SACD, mais dédiée aux jeux télévisés. Elle a été fondée par Claude Danu, un juriste, et Jacques-Antoine, producteur et auteur de jeux tels que Fort Boyard, Le trésor de Pago Pago, et La Carte au Trésor.
Jacques-Antoine, avec Armand Jameau, figure majeure des débuts de la télévision française, a grandement influencé la production de jeux télévisés. Fort Boyard reste d'ailleurs le format français le plus exporté au monde.
Quant à moi, j'en suis à mon troisième mandat de président.
Pouvez-vous nous parler un peu du contexte dans lequel a été fondée la SAJE et aussi peut-être son rôle dans l'émergence de nouveaux formats de jeux français ?
Claude et Jacques-Antoine avaient compris que les jeux télévisés, écrits comme des scénarios de fiction, devaient bénéficier de droits d'auteur au même titre que les œuvres de fiction. Ils ont donc lutté pour cette reconnaissance et ont réussi à faire en sorte que les jeux soient considérés comme des œuvres à part entière. Grâce à cela, La SAJE perçoit et redistribue ces droits.
Nous collectons les droits issus de la copie privée, dont 75 % sont redistribués aux auteurs français et étrangers, ainsi qu'aux adaptateurs de formats étrangers en France. Les 25 % restants sont dédiés à l'aide à la création. Cela nous permet de financer des pilotes, des aides à l'écriture et d'aider les créateurs à mettre leurs propres jeux à l'antenne.
Chaque année, nous publions un rapport de transparence pour informer les bénéficiaires des aides et des droits d'auteur.
Quels seraient pour vous les trois ingrédients clés d'un bon jeu TV ?
L'histoire, avant tout.
Il est crucial que l'histoire plaise au public. Trouver une bonne histoire et savoir bien la raconter est essentiel. Contrairement à une fiction, où l'intrigue peut être unique, un jeu télévisé doit captiver les gens chaque jour avec un scénario répétitif mais attrayant. Écrire un jeu qui donne envie au public de revenir quotidiennement est un véritable défi de scénariste.
Quand on écrit un jeu, on a l'histoire de base et on sait comment la raconter. Ce qui assure la pérennité du jeu, c'est la capacité à changer certains ingrédients chaque jour. Un bon casting et un contenu éditorial solide sont essentiels. Par exemple, dans les quiz, le contenu éditorial se compose principalement de questions. Dans les jeux d'aventure comme Koh-Lanta, ce sont les épreuves et les candidats qui varient. Chaque saison, les candidats changent et les épreuves sont renouvelées, ce qui permet de garder l'histoire fraîche même si le scénario de base reste le même.
Le renouvellement des ingrédients clés, c'est-à-dire les participants et les défis, permet de maintenir l'intérêt du public tout en conservant une narration cohérente. L'art de la narration, savoir comment écrire et raconter une histoire, est ce qui fait la différence, tout comme dans un film. Les meilleurs réalisateurs, auteurs et scénaristes apportent leur touche unique, rendant chaque jeu distinctif.
Une chose importante à retenir est d'éviter de copier ce qui existe déjà. L'originalité est primordiale, car les gens aiment découvrir de nouvelles histoires plutôt que de revoir toujours la même chose.
Une expérience, un projet, une anecdote dont vous êtes particulièrement fier ?
Il y a un jeu que j'ai écrit, intitulé Duel, qui est diffusé en France sous le nom de Quatrième Duel, produit par French TV. J'ai écrit ce jeu peu après Tout le monde veut prendre sa place. Il a été optionné, ce qui signifie qu'une société de production a signé un contrat pour vendre et exploiter le programme.
French TV a présenté Duel au MIPTV, le marché international des programmes télévisés. Nous étions dans un petit appartement en dehors du salon, où les grands diffuseurs et sociétés passaient pour découvrir notre jeu. Nous avions installé une table avec des éléments interactifs, et peu à peu, le jeu a attiré l'attention, créant un buzz au MIP.
Trois mois plus tard, le directeur des divertissements d'ITV a convoqué les producteurs en Angleterre et a acheté le jeu pour deux saisons, ce qui est rare pour un format encore sur papier. Séduits par le buzz, ils pensaient avoir un énorme succès entre les mains. Le directeur d'ITV a ensuite recommandé le jeu à ABC aux États-Unis, qui a également acheté le format. Lors d'un dîner pour célébrer, le directeur des divertissements d'ABC, présent à la table voisine, a entendu parler de l'accord et a voulu aussi acquérir les droits, montant ainsi les enchères.
La vente à ABC a été annoncée le jour de mon mariage, ce qui a rendu le moment encore plus spécial. Chaque étape de ces projets a apporté son lot de moments mémorables et de défis, mais au final, c'était toujours une expérience enrichissante et gratifiante.
ABC a acheté deux saisons avec un contrat de premier regard de trois ans et une coproduction avec French TV. Duel a été diffusé pendant deux ans, en quotidien et en prime time, sur ABC, le plus grand réseau de télévision mondial. Grâce à ce succès, le jeu a été optionné dans 140 pays et a eu sept saisons en France. Il a également été élu meilleur jeu en 2008 en Angleterre.
En parallèle, Slam a été lancé pendant l'été sur France 2, remplaçant Motus. La première saison de Slam a été animée par Thierry Beccaro. Le succès a été tel qu'il a été transféré sur France 3, avec Cyril Féraud comme animateur, qui présente le jeu depuis près de 20 ans.
Plutôt "Slam" ou "Tout le monde veut prendre sa place" ?
Les deux !
Tout le monde veut prendre sa place et SLAM, ont été de superbes aventures. Tout le monde veut prendre sa place a été mon premier gros succès à l'antenne, avec un animateur vedette. Au début, c'était un défi parfois compliqué, car je débutais et me suis un peu laissé dépasser par les événements, mais le succès était tel que nous avons bousculé la concurrence.
Ce qui était innovant avec Tout le monde veut prendre sa place, c'était l'introduction de personnages récurrents, une véritable nouveauté à l'époque. Personne n'y croyait, et les chaînes voulaient même que je trouve une règle pour éliminer le champion afin qu'il ne gagne pas tout le temps, alors que c'était justement le principe du jeu. C'était une aventure incroyable et stressante, surtout au début, car on n'est jamais sûr que tout fonctionnera comme prévu. Mais le succès était au rendez-vous, et cela m'a permis de faire d'autres projets.
Pour SLAM, je savais dès le début que si nous réussissions à le mettre à l'antenne, il pourrait durer des années grâce à sa mécanique simple et efficace. Les gens apprécient ce type de jeu qui devient une habitude plaisante. Même si SLAM est surtout regardé par un public plus âgé sur France 3, mes neveux adorent y jouer, montrant que les jeux de lettres reviennent à la mode. C'est une satisfaction de voir que ce jeu a su toucher différentes générations.
Comment devient-on créateur de jeux pour la télévision ?
Tout d'abord, il faut écrire des jeux !
La première étape est de les écrire en comprenant bien comment ils fonctionnent et comment les gens réagissent. Une fois le jeu écrit, il faut trouver quelqu'un qui y croit et qui peut le vendre. Ensuite, il doit être pérenne, car on n'a pas beaucoup de chances de réussir. Si mon premier jeu n'avait pas été un succès, peut-être aurais-je eu une seconde chance, mais certainement pas beaucoup d'autres.
Certains animateurs, comme Nagui, peuvent se permettre d'échouer plusieurs fois grâce à leur notoriété et à leur statut de producteur. Mais pour quelqu'un comme moi, qui n'était pas animateur, la seule option était de faire un succès dès le départ.
Il faut énormément de travail. On repense le jeu dans sa tête des dizaines de fois, on s'endort et se réveille en y pensant, en vérifiant que tout est bien ficelé et fonctionne correctement. On essaie d'anticiper les réactions des téléspectateurs et des candidats, en minimisant les imprévus.
Devenir auteur de jeux, c'est voir ses créations à l'antenne. Sinon, on peut écrire un jeu, mais rester dans l'ombre.
Il faut une bonne idée et l'envie d'écrire une histoire autour de cette idée. Prenons un exemple comme Le Bachelor : l'idée de base est un homme qui fait un dating avec une douzaine de femmes. À chaque épisode, il offre une rose à celles qu'il souhaite garder. C'est là que commence l'écriture d'un jeu. Il faut tout développer à partir de cette idée.
Une anecdote amusante ?
La créatrice de "Un Dîner Presque Parfait" travaillait chez ITV. Un soir, elle avait invité des amis à dîner, mais le repas n'était pas terrible. Ses invités, trop polis pour le dire en face, ont sûrement critiqué le dîner une fois dans leur voiture. Consciente de la situation, elle a demandé à son mari ce qu'il en pensait, et il lui a donné une note de quatre sur dix.
C'est ainsi qu'elle a eu l'idée de transformer cette expérience en jeu télévisé. Inspirée par ce moment de sa vie, elle a décidé de créer un concept où les participants se notent mutuellement sur leurs talents culinaires.
L'inspiration peut venir de n'importe où. Il faut être constamment à l'affût, que ce soit en vivant une aventure personnelle, en observant des enfants jouer dans un parc, ou dans n'importe quelle autre situation. Il s'agit d'une sorte de veille constante dans ton esprit, toujours prêt à capter la prochaine grande idée.
Vous intervenez aussi à La Fabrique des Formats dans quelques formations dont la formation "Scénariste de jeu TV". Selon vous, la transmission est-elle importante dans le secteur de l'audiovisuel ?
Nous devons transmettre aux gens la capacité de concrétiser leurs idées.
De nombreuses personnes nous demandent comment devenir auteur de jeu. Elles aiment réécrire des jeux, les analyser, etc. Aujourd'hui, il n'existe pas de formation spécifique pour cela en France, à l'exception de celle proposée par La Fabrique, financée par La SAJE. Cette formation permet à la fois aux professionnels du métier mais aussi aux personnes extérieures d'apprendre les bases : qu'est-ce qu'un jeu, comment construire un conducteur, pourquoi choisir tel type de candidat, d'épreuve, de scénario…
C'est crucial pour démocratiser la création des jeux et ne pas la laisser entre les mains d'un cercle restreint de personnes bien informées. Nous avons besoin d'idées venant de l'extérieur, au-delà du petit monde de la télévision.
Les différentes sessions de formation montrent que des idées novatrices peuvent venir de partout, parfois de personnes extérieures au milieu télévisuel. Cela permet d'ouvrir les horizons et d'explorer de nouvelles perspectives.
Pour ceux qui hésitent à se lancer comme scénariste, cette formation leur donne l'opportunité de découvrir ce qu'ils peuvent accomplir.
Pensez-vous que le jeu TV s'inspirera des mécaniques du jeu sur le digital et des jeux vidéo ?
Tu peux t'inspirer d'à peu près tout pour créer des jeux. Même si les univers et les mécanismes diffèrent, un scénario peut être adapté en film, jeu vidéo ou jeu de société. Par exemple, nous avons sorti des jeux de société basés sur "Slam" et "Tout le Monde Veut Prendre Sa Place".
Prenons l'exemple de "Squid Game" sur Netflix, initialement une fiction, il a été adapté en jeu télévisé. On peut imaginer que "Squid Game" devienne un parc d'attractions, un jeu de société ou un jeu vidéo. Le scénario de départ peut être transformé de multiples façons.
Les jeux télévisés peuvent également être adaptés sous différentes formes : jeux de plateau, jeux de société, jeux vidéo. Par exemple, "Tout le Monde Veut Prendre Sa Place" et "Slam" ont été adaptés en jeux vidéo. "Koh-Lanta" et "Fort Boyard" ont été adaptés en escape games…
Un autre exemple est "You Don't Know Jack", un jeu vidéo américain à succès qui a été adapté en jeu télévisé. C'est un peu l'ancêtre de Burger Quiz. Ce type de transformation montre comment un concept peut évoluer et s'adapter à différents formats.
Il existe probablement d'autres jeux vidéo adaptés en jeux télévisés, même si je ne les connais pas tous. Le potentiel d'adaptation est vaste, et il suffit d'avoir une bonne idée de départ pour créer de multiples versions d'un même concept.