Pauline Gil (Référente en Éco-production)
et Alissa Aubenque (Chargée de mission chez Ecoprod)
Leith Louzir introduit cette première rencontre de la saison dédiée à l’éco-production. Après une rapide présentation des intervenantes, il est précisé que la rencontre se divisera en trois temps :
-
Un premier temps de contextualisation (la nécessité de l’éco-production, présentation d’Ecoprod), par Alissa Aubenque.
-
Un second temps sur les interventions pratiques et concrètes d’un référent en éco-production sur un tournage, par Pauline Gil.
-
Un troisième temps d’interaction, de questions et de partage avec les différentes personnes présentes
Contextualisation, la nécessité de l’éco-production, présentation d’Ecoprod
Pourquoi l’éco-production ?
Alissa Aubenque rappelle dans un premier temps l’enjeu majeur qu’est celui de préserver notre planète. Elle ne manque pas de préciser que, comme toutes les autres activités humaines, le secteur audiovisuel impacte l’environnement, d’où la mission que se donne Ecoprod de sensibiliser le secteur pour produire des œuvres audiovisuelles « durables ».
Elle rappelle que ces actions s’inscrivent aussi en vue de futures réglementions qui amèneront à contraindre l’industrie audiovisuelle à produire davantage de manière « verte ».
Elle pose ainsi 3 principales raisons qui obligent à l’écoresponsabilité des productions audiovisuelles :
1/ L’urgence climatique à l’échelle mondiale : les Accords de Paris ont fixé pour objectif une baisse des émissions carbone de 40% d’ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050, et ainsi limiter le réchauffement climatique à 2°C sur l’ensemble du globe.
2/ L’évolution réglementaire à l’échelle européenne : le Green Deal appelle tous les acteurs économiques à la neutralité climatique. Elle note d’ailleurs qu’en France, le CNC, dans son plan d’action présenté à Cannes, propose de rendre obligatoire la réalisation d’un bilan carbone et une éco-conditionnalité des aides dès 2023.
3/ La nécessité économique, étant donné la raréfaction des ressources qui augmente le prix des équipements, ce qui a un impact direct sur les budgets.
Elle note par ailleurs que le secteur audiovisuel émet près d’1,7 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an, l’équivalent de 700 000 vols allers-retours Paris - New-York.
Au sein de la chaîne de valeur audiovisuelle, elle explique que près de 56,15% de ces émissions proviennent du streaming vidéo, et qu’arrive ensuite l’empreinte organisationnelle (production, post-production, diffusion, etc..), avec 18,45%.
Alissa Aubenque poursuit ensuite son focus de l’impact du secteur de l’audiovisuel dans ce contexte global en détaillant la répartition de l’empreinte carbone moyenne lors d’un tournage d’une série télévisée.
Elle distingue notamment trois postes majeurs que sont :
1/Les moyens matériels (les décors)
2/Le déplacement de personnes 3/Les moyens techniques, dont :
>Les groupes électrogènes (très polluants)
>Le choix du «formatd’images» (les images HD VS 8K, beaucoup plus énergivores en termes notamment d’espaces de stockage et de diffusion).
Elle rappelle enfin que produire de manière écologique nécessite de répondre à un triple défi :
-
Réduire les émissions de gaz à effet de serre,
-
Réduire nos déchets,
-
Réduire notre impact sur la biodiversité.
Qu’est-ce qu’Ecoprod ?
Alissa Aubenque rappelle que l’entité a été créée en 2009 et qu’elle est le fruit de l’association d’acteurs majeurs des secteurs TV et Cinéma sensibles à la question du développement durable. Parmi eux : Le CNC, La CST, Film France, Film Paris Région, Audiens mais aussi des diffuseurs tels que Canal+, France Télévisions, ou encore TF1.
Elle précise qu’Ecoprod met ainsi à disposition des outils aux producteurs pour réduire leur empreinte carbone, tels que :
- Un calculateur « carbon clap »
- Un guide de l’éco-production
- Des signalétiques et affiches
- Des fiches pratiques- Des formations
- Ou d’autres « ressources utiles »
Alissa Aubenque explique qu’Ecoprod, dont la constitution en association est en cours, possède de nombreux partenaires français mais aussi européens.
En France, elle cite notamment Secoya, qui propose une éco-régie lors des tournages.
Arnaud Pontoizeau demande à Alissa Aubenque quelles sont les perspectives européennes d’Ecoprod.
En Europe, elle aborde notamment le projet du « Green Screen » de l’UE créé en 2017. L’idée est de créer des outils communs de calculs européens, et ce, malgré des situations différentes des pays sur le plan des mixtes énergétiques respectifs (ex : la prégnance du nucléaire en France, à l’inverse de l’Allemagne qui possède une majorité de centrales à charbon, plus émettrices de gaz à effet de serre).
Alissa Aubenque aborde enfin le volet financement. À cet égard, elle prend l’exemple du fonds de soutien « cinéma et audiovisuel » de la région Ile-de-France, qui propose des bonus dans le cas d’utilisation de pratiques innovantes dont fait partie l’éco-production.
Les interventions pratiques et concrètes d’un référent en éco-production sur un tournage
Pauline Gil, technicienne de formation, explique qu’elle a tout de suite constaté que l’écoresponsabilité était loin d’être la priorité sur les tournages. Elle relate que c’est dans le cadre d’un service civique qu’elle a effectué chez Ecoprod qu’elle a pu réaliser ses premières missions liées à l’éco-production. Elle explique qu’elle travaillait en parallèle sur la sérieL’Effondrement, série dont le propos est justement lié aux enjeux écologiques. C’est dans ce contexte qu’elle a été embauchée par son producteur en tant que référente en éco-production. Elle explique que c’est d’ailleurs cela qui a permis à Canal+ de rentrer dans le collectif, mais aussi de créer un premier poste d’éco-référent chez Ecoprod.
« Être référente en éco-production »
Pauline Gil explique que le rôle du référent en éco-production est d’accompagner un projet dès sa préparation : tout commence par une réunion avec les chefs de postes, et voir, si dans un premier temps, ils ont en tête les différents enjeux.
Elle distingue notamment 2 étapes :
ETAPE 1 : la préparation
Cette étape consiste à établir le plan d’action : trouver des partenaires, sensibiliser les techniciens, anticiper les éléments de communication autour de film ou de la série...
C’est la partie la plus importante. Pauline explique que plus on prend de temps pour cette étape, plus cela permet une prise de recul, et d’adapter les objectifs et les actions à mener pour la production en question. Elle note d’ailleurs que le facteur « écologie » est un facteur à prendre en compte de la même manière que le facteur « temps », et le facteur « économie », et que bien souvent, ils sont contradictoires. Le vrai challenge, c’est alors de faire bien, vite, pas cher, et écologique.
ETAPE 2 : sur le tournage
- Pauline explique que la plupart du temps, de nouvelles personnes se joignent au projet
(décors, figuration). De ce fait, le travail de sensibilisation continue tout au long du
processus.
- L’idée est d’appliquer les éléments planifiés en amont lors de l’étape 1 de
préparation.
- Mais aussi de commencer à quantifier le maximum de données sur le projet pour
aboutir à un double bilan :
o Une synthèse financière
o Une synthèse écologique (notamment via l’élaboration d’un bilan carbone)
Elle explique que cela a plusieurs avantages :
- Cela permet de se « rendre compte » : avoir des chiffres aide à prendre conscience de l’impact concret des actions réalisées sur l’écosystème. Par exemple, retranscrire le calcul du nombre de kilomètres réalisés par une équipe de tournage en termes d’allers- retours « Terre-Lune » permet davantage de réaliser, et remettre en question les actions du quotidien.
- Cela permet à la production d’avoir un dossier où sont consignés les objectifs plus ou moins attendus, qui constituent aussi un booster pour les projets qui suivent.
Pauline Gil explique que les enjeux sont différents selon les corps de métiers : alors que pour le régisseur et la décoration, l’objectif majeur est de diminuer les déchets ; pour la technique, c’est davantage la « raréfaction des ressources » qu’il faut gérer.
L’éco-production et les différents corps de métiers
Au sein de la chaîne de valeur :
Si aujourd’hui la notion d’éco-production est rattachée aux étapes de « production » (pré- prod, tournages, post-prod), il est bon de l’inclure comme une composante d’une dynamique plus large au sein de la chaîne de valeur, et d’imaginer une prolongation avec une étape d’éco- distribution et d’éco-diffusion.
À l’échelle du tournage :
Pauline Gil explique que lors d’un tournage, le pouvoir organisationnel et la décision de la mise en place d’un processus d’éco-production revient à la production. Elle note que d’expérience, celle-ci n’est pas optimum quand elle se fait au niveau des techniciens ou de la régie.
Dans les conventions collectives :
Pauline Gil souligne qu’à l’heure actuelle, le métier de « référent en éco-production » n’existe pas officiellement dans les conventions collectives. Comme elle l’expliquait plus haut, d’après elle, ce référent ne doit pas juste dépendre de la régie. Il doit être membre à part entière de l’’équipe de production de sorte qu’elle ait une vision globale de l’impact écologique de la totalité des postes.
Elle note enfin qu’il ne faut pas le considérer comme un poste « en plus » dans l’équipe de production, puisque qu’au-delà de l’apport en éco-production qu’il amène, le référent reprend aussi des missions d’autres postes de production.
Des exemples d’actions concrètes
Pauline Gil rappelle que c’est lorsque les tournages s’éternisent, qu’il faut être d’autant plus attentif à l’éco-production. Elle explique que bien souvent, quand le staff commence à fatiguer, ce sont les considérations d’ordre esthétiques/artistiques et économiques, qui prennent le pas au détriment de l’écologie. C’est pour cela qu’elle parle d’un « combat de tous les jours ».
Elle note d’ailleurs, qu’économiquement, l’éco-production ne coûte pas plus cher, contrairement à ce que l’« effet court terme » peut laisser penser.
Pauline Gil prend à cet égard l’exemple de la régie (l’endroit par excellence où tout le monde se rassemble : catering, etc.) :
>Elle souligne que l’achat de gourdes est plus écologique que des bouteilles en plastique. Si, certes, elles coûtent plus cher que des bouteilles d’eau à l’achat, leur prix est vite amorti. Elles permettent en plus d’éviter des allers-retours superflus en urgence au super marché.
>Elle note également que faire des courses chez les petits producteurs locaux est un bon réflexe à acquérir. À l’inverse des grandes surfaces, ils peuvent « faire des prix », et cela permet de générer un argent plus vertueux, plus positif écologiquement.
>Pauline Gil prend un autre exemple : celui de nommer des « régisseurs-drivers » pour motiver les troupes, et ne pas « lâcher » les objectifs d’éco-production quand les techniciens sont fatigués après une journée chargée en tournages.
L’humain au centre
En plus d’effets concrets sur l’écosystème, Pauline Gil note que l’éco-production peut participer à créer une synergie au sein des équipes techniques. Cela permet d’aborder leurs habitudes et leurs gestes de travail, et ainsi de remettre la sécurité et l’humain au centre.
Pauline Gil explique que parfois sa présence amène du débat, que certains trouvent parfois les règles à suivre punitives. Elle se dit consciente que ce n’est pas elle qui les fera changer d’avis, mais que c’est au fil des tournages et des intervenants que cela se joue. Elle explique que le déclic ne peut se faire qu’à l’échelle personnelle. Elle poursuit que si changer les réflexes à l’échelle d’un individu est complexe, cela l’est d’autant plus à l’échelle d’une entreprise, et que donc cela prend du temps.
De l’éco-production à l’éco-création
Alissa Aubenque, également productrice en parallèle de ses missions chez Ecoprod, explique qu’il faut aussi aller de plus en plus vers des projets où le fond lui-même s’inscrit dans cette dynamique écologique, qu’il s’agisse de stock ou de flux.
Elle note enfin que concernant les formats, il faut imaginer des émissions avec les mêmes décors, ce qui lie d’ailleurs l’écologie avec les considérations budgétaires.
Interactions et questions
Philippe Chazal réagit aux propos d’Alissa Aubenque et rappelle que justement la Fabrique intervient au moment du passage de l’écriture au prototype, et que c’est à cette étape du processus de création que la cohérence entre « mise en production » et « écoresponsabilité » peut se tester. Il rappelle que le pilote sert aussi à cela.Il en profite pour demander à Alissa Aubenque s’ils sont en lien avec d’autres acteurs du secteur dans le cadre d’une dynamique collective.
Alissa Aubenque répond que des premières dynamiques ont été initiées : avec les chaînes, dont certaines sont membres du collectif à l’initiative d’Ecoprod (elles peuvent s’engager via des appels à projets), avec des syndicats comme le SPI qui a engagé une personne, mais aussi les auteurs via par exemple la création d’ateliers d’écriture.
Pauline Gil explique qu’elle-même fait d’ailleurs partie du pôle production de la CST. Manoëlle Van Grunderbeeck de Wallimage, s’adresse à Pauline Gil, et lui demande si au-delà
de l’étape du tournage, elle sensibilise aussi d’autres prestataires de l’audiovisuel.
Pauline Gil explique qu’elle a un manque de connaissances techniques pour conseiller par exemple les membres de l’équipe de post-production. Elle note que ce qui importe, c’est, dès le début, circonscrire un territoire bien délimité sur lequel l’éco-référent peut agir, et si possible le plus large possible en fonction de ses capacités et connaissances.
Émilie Le Gall, responsable RSE à l'ARPP, demande s’ils ont déjà été approchés par des acteurs de la publicité.
Alissa Aubenque répond qu’initialement la publicité ne s’intéressait pas à l’éco-production, mais que depuis un an, de plus en plus d’agences ont commencé à s’y intéresser, notamment soumis par la pression des annonceurs qui se doivent d’être en cohérence avec l’image qu’ils prônent. Alissa Aubenque ajoute qu’à cet égard, ils sont actuellement en train d’adapter un module autour de la publicité, en plus d’un autre lié aux programmes de fiction. Elle précise qu’ils devraient être prêts en début d’année, et que cela dépendra aussi des conditions tarifaires.
Manoelle Van Grunderbeeck en profite pour demander s’ils comptent mettre en place des dispositifs plus propres aux formats de flux chez Ecoprod ?
Alissa Aubenque répond qu’actuellement le statut de l’association est en cours de transformation, et que cela dépendra de l’ampleur qu’elle aura, et de la demande.
Manoelle Van Grunderbeeck note que cela pourrait être très utile étant donné que les diffuseurs nationaux en Belgique semblent encore loin de ces questions.
Benjamin Vanhagendoren, « Green Advisor » pour Wallimage, explique qu’en Belgique il n’y a pas de structures du même type que « Secoya ». Depuis cette année, Wallimage, en tant que fonds régional, a mis en place un système que certains jugent contraignant, mais qui d’après Benjamin Vanhagendoren, s’assimile davantage à un accompagnement. Concrètement, il explique que pour se voir attribuer un fonds chez Wallimage, il faut répondre aux critères « Green Film ». Si un dispositif est déjà mis en place concernant les projets de fiction chez Wallimage, il leur reste justement à construire quelque chose autour du flux. Il détaille que l’idée est d’insuffler les bonnes pratiques aux équipes dès cette étape du pilote, sans même avoir la certification « Green Film ». Benjamin Vanhagendoren souligne que c’est pour cette raison qu’ils se tournent actuellement vers les diffuseurs pour qu’ils puissent poser
leurs conditions avant diffusion. Il précise d’ailleurs qu’une prochaine table ronde avec les diffuseurs et les producteurs francophones sera prévue pour voir commun chacun envisage les choses.
Dans ce système « Green Film », Benjamin Vanhagendoren explique qu’il préconise l’engagement de « conseillers éco sanitaires », ou « green managers », dont le travail est de mettre en application les critères lors du tournage. Pour ce faire, ils ont formé des techniciens pour pallier un manque. Ils se rendent compte qu’il faudrait davantage prendre des gens formés à la durabilité (tous secteurs confondus) et ensuite les former rapidement aux métiers des plateaux TV et aux législations associées. Il conclut en précisant que ces métiers d’éco- conseillers, peu importe le secteur, vont prendre une importance grandissante étant donné la problématique environnementale qui s’impose à tous les niveaux.
Philippe Chazal en profite pour préciser qu’à travers le Comité de Sélection et d’Investissement de la Fabrique des Formats, il a été décidé qu’une partie du financement accordé à la production d’un pilote de formats (de stock ou de flux) soutenu, soit conditionné au respect de la chartre de l’ensemble des dispositions proposées par Ecoprod. Il ajoute que ce dispositif permet aussi de sensibiliser les producteurs sur d’autres éléments tels que le fait d’avoir un référent harcèlement, ou de favoriser les conditions de vie au travail ; des conditions complémentaires qui viennent appuyer l’idée d’encourager la mise en place d’un écosystème de travail vertueux.
Alissa Aubenque constate que de plus en plus de financeurs s’emparent de ces questions pour conditionner les aides. Elle s’en félicite, et note que la mission d’Ecoprod, de ce point de vue, commence à évoluer. C’est pour cette raison, qu’ils travaillent actuellement sur l’élaboration de grilles de critères uniformes et globaux pour éviter d’avoir des disparités normatives d’une région à l’autre, ce qui ajouterait de la complexité au travail de sensibilisation auprès des producteurs.
Leith Louzir remercie Alissa Aubenque et Pauline Gil pour leur explications riches aussi bien sur le plan théorique et aussi très concrètes sur le l’éco-production au quotidien, et les outils qu’il reste à consolider et construire !
Leith Louzir conclut en remerciant aussi tous les participants pour leurs interventions. Il précise que la prochaine rencontre de la Fabrique de Formats aura lieu le 5 octobre prochain sur Zoom juste avant le MIPCOM. Il s’agira d’une rencontre dédiée au benchmark international des formats en compagnie de The Wit, notre partenaire.