Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel jusqu'à présent et des moments clés qui ont influencé votre carrière ?
Je ne viens pas du tout du monde de l'audiovisuel, mais j'ai plutôt un profil entrepreneurial. Il y a quelques années, j'avais l'intention de développer un livre, mais qui s'est finalement transformé en un podcast documentaire sur l'une des figures marquantes de ma famille : un communiste du 20e siècle, une sorte de légende du nom de Georges Soria. J'ai mené une enquête approfondie entre la Tunisie, l'Espagne (où il avait combattu lors de la guerre civile espagnole), la Russie (où il avait été en contact avec le KGB), et la France pour retracer son parcours.
J'ai produit neuf épisodes sur plusieurs mois pour le documentaire, chacun d'une durée de 15 minutes, puis j'ai réalisé le montage final. À ce moment-là, je suis retourné vers Léonard Billot, qui m'avait prêté le matériel nécessaire à la confection de ce projet personnel, et lui ai dit que nous ne pouvions pas nous arrêter là. C'est ainsi que nous avons créé notre entreprise, Lacmé Studio, au début de l'année 2020. Notre premier contrat a été signé avec le musée d'Orsay, car nous avions la légitimité de Oli, qui était le plus grand podcast jeunesse de France Inter. À l'occasion de leur première exposition jeunesse intitulée "Au pays des monstres", nous avons demandé à Claude Ponti d'écrire des histoires originales inspirées de certaines sculptures exposées, puis à plusieurs personnalités de les interpréter.
Il est à noter qu'à ce moment précis, le confinement a été déclaré, ce qui a empêché la tenue de l'exposition. Cependant, le podcast a rencontré un franc succès. Cela nous a donné l'élan nécessaire pour poursuivre notre activité, et un troisième associé, Pierre Risoli, nous a rejoints. Anciennement avocat spécialisé en audiovisuel, il est maintenant notre directeur juridique et des productions. Aujourd'hui, nous sommes une équipe d'une quinzaine de personnes à Paris, avec entre 50 et 80 talents auxquels nous faisons régulièrement appel dans le cadre de nos productions : auteurs, journalistes, compositeurs, monteurs, graphistes, et même vidéastes, car nous nous aventurons désormais également dans le videocast. La frontière entre l'audiovisuel et le numérique est de plus en plus floue, et nous sommes à l'avant-garde de ce mouvement.
Quelles sont vos principales missions ? Votre métier au quotidien ?
Je dirais que le quotidien au sein d'une jeune structure est assez varié ; les journées ne se ressemblent pas, ce qui est plutôt agréable. Aujourd'hui, nous avons néanmoins réussi à structurer notre organisation. Léonard est désormais responsable de la création. Il intervient à la fois dans la conception des projets et assure la direction artistique des productions en cours. Pour ma part, je me suis concentré sur le développement, c'est-à-dire rechercher de nouvelles opportunités, développer de nouvelles productions et trouver de nouveaux partenaires. Je suis également impliqué dans la recherche de nouveaux talents pour notre label, en collaboration directe avec nos équipes. Quant à Pierre, son rôle consiste principalement à s'assurer que les productions signées sont réalisées et livrées dans les délais convenus une fois les accords conclus.
Quelle est la force du format podcast ?
Pour moi, il y a deux perspectives à considérer : celle du producteur et celle de l'auditeur, ou plutôt celle du producteur-auteur.
Ce qui m'a surpris, c'est la simplicité des moyens de production lors de l'enregistrement. C'était un peu naïf de ma part, mais j'ai simplement pris un micro, deux bonnettes, un pied, et je me suis lancé. Avant cela, je n'avais pas une grande expérience, juste une formation rapide qui m'a permis de comprendre les bases en une demi-journée. Cependant, l'enregistrement était assez simple, et j'ai apprécié cela en tant qu'auteur. Dans un documentaire, la parole se libère plus facilement lorsque l'on oublie la présence du micro, que l'on soit l'animateur ou la personne interrogée.
Ensuite, du point de vue de l'auditeur, cela permet différentes choses. D'une part, cela offre la possibilité de créer des univers à moindre coût. Par exemple, en ajoutant quelques sons, on peut immerger l'auditeur dans un univers fictif sans recourir à des moyens coûteux. Cependant, cela pose aussi des défis pour l'auteur. L'absence d'image nécessite de repenser la narration et de trouver des moyens efficaces pour transmettre des idées et des émotions. Cela ouvre de nouvelles possibilités tout en imposant certaines contraintes.
En ce qui concerne l'écoute, le podcast est devenu un média privilégié. De plus en plus d'auditeurs prennent le temps de s'installer confortablement pour écouter un épisode, ce qui crée une sorte de bulle dans leur journée. Cette tendance s'accompagne d'une durée d'écoute moyenne plus longue par rapport à d'autres médias comme YouTube ou TikTok. Cela permet d'explorer les sujets en profondeur et de développer des idées de manière plus détaillée.
Enfin, ce que j'apprécie dans ce média, c'est son authenticité. On ne peut pas vraiment tromper l'auditeur, car l'oreille est attentive à chaque détail. Un discours trop préparé se remarque immédiatement, le podcast demande une sincérité qui ne permet pas de tricher facilement. Cela peut être un défi, mais aussi une force, car cela garantit une expérience honnête et immersive pour l'auditeur.
Quel est le processus de création d'un podcast ?
Dans notre domaine, les formats varient considérablement. Nous avons identifié une dizaine de formats différents, allant du documentaire narratif aux témoignages à la première personne, en passant par les discussions intimistes en tête-à-tête ou les débats en table ronde.
Nous avons la chance de collaborer avec plusieurs équipes de post-production, dont beaucoup sont issues de Radio France, ce qui nous assure une certaine expertise. Ces équipes sont spécialisées dans divers domaines, allant de la jeunesse à la fiction, en passant par les documentaires. Elles sont capables de créer des atmosphères sonores sur mesure et de composer de la musique adaptée à nos besoins.
En ce qui concerne les différentes étapes de production, elles incluent le casting de l'équipe technique et des invités, le choix du format d'enregistrement (en studio ou sur site), ainsi que la réalisation elle-même. Nous avons expérimenté différentes approches, notamment en enregistrant devant un public, comme dans notre podcast "Les Assises Imaginaires", qui a d'ailleurs remporté un prix au Paris Podcast Festival. Dans ce podcast, nous organisons des procès fictifs sur des sujets variés, avec la participation de scénaristes et d'avocats professionnels.
Pour financer nos projets, nous devons souvent trouver des partenaires privés, car il n'existe actuellement aucune aide publique pour les podcasts.Ces partenariats nous permettent également d'ouvrir nos enregistrements à un large public.
En ce qui concerne les aspects techniques, les enregistrements sur site peuvent parfois nécessiter un équipement plus lourd, mais rien de comparable à une équipe audiovisuelle complète. Nous avons également exploré le domaine des videocasts, ce qui ajoute une dimension supplémentaire à nos productions et nécessite une attention particulière lors de la post-production, notamment en termes de montage et de mixage audio.
Le videocast est-il un challenge pour vous ?
En repensant à notre expérience de réalisation de videocasts, je trouve que cela présente plusieurs avantages. Tout d'abord, l'écriture est différente. Lorsque vous créez une vidéo, vous avez une structure plus claire et précise, ce qui facilite la planification et la réalisation, même en tenant compte de la durée de visionnage. Alors que sur YouTube, la durée moyenne de visionnage est souvent de 10 minutes, dans le cadre d'un podcast vidéo, les auditeurs sont souvent prêts à investir plus de temps.
En termes d'image, vous avez également plus de latitude. Vous pouvez adopter un style plus statique, assumant pleinement le format podcast. J'ai même entendu parler d'émissions YouTube qui incorporent des micros comme s'ils étaient utilisés dans un podcast, mais sans enregistrer l'audio, simplement comme élément de mise en scène pour proposer un format différent. Cela montre à quel point les codes sont en train d'évoluer.
Je crois que l'avenir réside dans l'utilisation intelligente de l'image pour enrichir l'expérience auditive. Le recours au motion design et à des images évocatrices pourrait vraiment ajouter une dimension supplémentaire à nos productions. Je pense que cela pourrait être très intéressant d'explorer des vidéos-casts de ce type, en exploitant pleinement le potentiel visuel pour accompagner l'audio.
Quels sont les atouts de Lacmé Studio ?
Les atouts de Lacmé sont multiples. Nous possédons une expertise complète dans la chaîne de production et de diffusion de podcasts, ce qui nous permet d'apporter une valeur ajoutée tant à nos clients qu'à nos partenaires diffuseurs. Initialement, nous étions un studio de production, concevant et produisant des podcasts pour des marques, des radios et des plateformes. Nous avons ensuite étendu notre champ d'action en proposant des services de médiatisation, comprenant la promotion et la visibilité des contenus audio, afin d'assurer leur écoute par le public cible.
Au fil du temps, nous avons constaté l'importance des collaborations entre différents podcasts, ce qui a conduit à la création de partenariats et de synergies au sein de notre écosystème. Nous avons rencontré de nombreux podcasteurs indépendants qui, malgré leur talent et leur créativité, se retrouvaient souvent isolés dans leur processus de création et de promotion. Nous avons donc décidé de créer un label de podcasts indépendants, dans le cadre duquel nous accompagnons ces créateurs sur divers aspects, tels que l'édition, la production, le développement de communauté et la recherche de partenariats.
Cette approche nous permet de proposer à nos clients une offre complète, allant de la création de concepts originaux à la production de contenus sur mesure. Nous collaborons étroitement avec nos partenaires pour développer des séries originales et des podcasts innovants, en puisant dans notre vivier de talents issus du label. Cette synergie entre nos différentes activités nous permet de proposer des solutions créatives et personnalisées à nos clients, tout en contribuant au développement et à la diversification du paysage podcastique.
Quel est votre podcast préféré ?
Je n'ai pas réellement de podcast préféré, mais récemment, nous avons lancé un flux avec un podcast appelé "À nos amis, à nos amants". Pendant plus de deux ans, nous avons suivi un couple de trentenaires parisiens qui ont exploré le monde du libertinage. Ce podcast offre à la fois une immersion dans ce milieu particulier et une histoire d'amour suivie au fil du temps. Avec environ six épisodes, il s'agit d'une autofiction, où le couple raconte son histoire en se mettant en scène. Ils jouent avec les codes narratifs en combinant des enregistrements authentiques avec des reconstitutions.
Cette approche de l'autofiction est quelque chose que nous apprécions et sur laquelle nous travaillons activement. Nous prévoyons bientôt de sortir une nouvelle série qui exploitera cette logique, mêlant une histoire vraie à des éléments narratifs fictionnels.
En parallèle, nous explorons également d'autres concepts, comme l'audio-réalité, qui offre une expérience immersive dans un univers sonore. C'est une piste intéressante sur laquelle nous travaillons actuellement et que nous trouvons très prometteuse.
Il n'y a pas de format privilégié, mais ce qui est fascinant, c'est qu'il existe une multitude de possibilités à explorer.
Côté intelligence artificielle, utilisez-vous cet outil chez Lacmé ?
Alors, l'utilisation de l'IA se fait de plusieurs manières différentes, et bien que nous n'ayons pas été les premiers à l'adopter, nous sommes en train de rattraper le retard.
Dans les différentes phases de production, l'IA peut être un outil précieux. Par exemple, en pré-production, nous commençons à explorer l'utilisation de l'IA pour générer une première trame de concept. C'est un moyen efficace de lutter contre le syndrome de la page blanche, en fournissant une base sur laquelle travailler, bien que cela nécessite toujours une révision humaine approfondie.
En production pure, l'IA peut être utile pour le mixage audio. Nous travaillons actuellement sur des solutions d'automatisation du mixage, particulièrement pour les podcasteurs indépendants qui n'ont pas accès à des mixeurs professionnels. Cette technologie permet d'améliorer la qualité sonore sans nécessiter une expertise approfondie en ingénierie audio, tout comme l'étalonnage en vidéo permet d'optimiser la qualité visuelle.
En post-production, l'IA peut également être utilisée pour générer des descriptions pour les plateformes de diffusion, en identifiant les mots-clés pertinents pour le référencement. De plus, elle peut faciliter la création de visuels. Nous travaillons souvent avec nos clients pour concevoir des vignettes visuelles, où l'IA peut être utilisée pour proposer des orientations générales avant de faire intervenir un graphiste professionnel pour peaufiner le résultat.
Nous explorons également des collaborations avec des graphistes spécialisés dans l'utilisation de l'IA. Par exemple, pour un nouveau flux original sur le thème du harcèlement, nous travaillons avec un graphiste spécialisé dans cette technologie pour créer une vignette entièrement réalisée grâce à l'IA. Cela représente une nouvelle approche passionnante dans notre processus de création visuelle.
Quels talents recherchez-vous actuellement ?
Nous sommes particulièrement intéressés par l'autofiction autour de thématiques souvent négligées.
L'exemple du libertinage est pertinent : c'est un sujet que nous avons exploré récemment. Nous trouvons que ces sujets méritent plus d'attention car ils sont souvent peu abordés dans les médias traditionnels. Nous apprécions travailler sur l'autofiction car la création de fiction pure peut s'avérer coûteuse et complexe à financer, surtout pour des publics adultes. En revanche, pour la jeunesse, nous sommes ouverts à toutes les propositions car la fiction jeunesse est plus accessible et offre plus de possibilités créatives.
Nos projets phares explorent des sujets tels que les relations amicales et le harcèlement, en cherchant à remettre en question les préjugés et à offrir une autre perspective sur ces thèmes. Nous laissons à l'auditeur le soin de se forger sa propre opinion, mais notre objectif est de présenter ces sujets de manière nuancée et éclairée. Nous croyons que plus une histoire est personnelle et intime, plus elle résonne universellement, et c'est ce qui nous motive dans notre travail d'autofiction.