- Présentez-vous en quelques mots. Quel a été votre parcours, que faites-vous aujourd’hui ?
Actuellement, j' occupe le poste de Directrice Prospective et Développement Transverse à Arte France, tout en assurant la coordination de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Mon parcours professionnel a connu une évolution significative, débutant en tant qu'architecte, métier que j'ai exercé pendant sept années.
Mon choix de transition vers le domaine du multimédia s'est concrétisé par l'obtention d'un master aux Beaux-Arts de Paris et à l'École nationale supérieure des Télécoms motivé par diverses considérations. Mon expérience s'est enrichie lors d'un stage en entreprise chez Arte à l'issue de ce master, et depuis lors, j'ai continué à contribuer au sein de cette organisation pendant près de vingt ans.
Au fil des années, j'ai occupé divers postes au sein d'Arte, dont celui du développement de la chaîne. En 2006, j'ai pris l'initiative de lancer le site Arte VOD. Mon parcours au sein de l'entreprise m'a conduit à évoluer vers la direction générale, où j'ai concentré mes efforts sur la stratégie. Initialement en tant que Directrice Chargée de Mission, puis en tant que Directrice adjointe, j'ai finalement accédé au poste de Directrice de la Prospective et de la Stratégie.
- Quelles sont vos principales missions à Arte France ?
Il s'agit de missions variées et transversales. La dimension prospective de mon rôle implique principalement de contribuer à la réflexion sur l'évolution du positionnement de la chaîne et sur le contrat d'objectifs et de moyens d'Arte France. Parallèlement, je m'investis dans des dossiers réglementaires tels que la chronologie des médias, les réponses aux consultations de l'Arcom, et d'autres aspects. La gestion de la distribution de la chaîne, qu'elle soit linéaire ou non linéaire en France, fait également partie de mes responsabilités. En outre, je m'occupe de projets transverses qui ne sont pas directement liés à la réflexion stratégique de la chaîne. Par exemple, je participe actuellement à un projet de déménagement immobilier, mettant à profit mon expérience en tant qu'architecte.
- Comment voyez-vous évoluer votre métier sur le long terme ? Quels sont les grands enjeux actuels ?
Mon métier revêt une particularité inhérente à sa nature transverse et à son évolution constante au sein même de ses activités. Il repose fondamentalement sur le principe de veille et d'analyse, en se concentrant sur des questions stratégiques.
En ce qui concerne les enjeux, il est intéressant de constater que la question centrale demeure la même depuis plusieurs années: qu'est-ce que signifie être une chaîne de télévision aujourd'hui ? L'environnement dans lequel nous évoluons est extrêmement complexe, une complexité qui a toujours été présente si l'on y réfléchit. L'avènement du numérique a profondément perturbé le marché, introduisant de nombreux acteurs aux rôles de plus en plus perméables. Avant l'ère d'internet, nous avions des chaînes de télévision traditionnelles linéaires. À présent, l'écosystème s'est transformé en une complexité extrême.
- Qui sont vos interlocuteurs au quotidien ?
Selon les dossiers, ça peut être des interlocuteurs différents. Au niveau de la distribution par exemple, ce sont les FAI (fournisseurs d'accès à Internet) mais c'est aussi Amazon, Molotov ou Google car je travaille sur des réflexions de distribution à l'International.
- Comment se positionne Arte dans le secteur audiovisuel, linéaire et digital ?
Arte se distingue en tant que chaîne arborant une identité particulièrement marquée, portant une vision européenne de la création. À mes yeux, c'est une chaîne qui se caractérise par son engagement et sa liberté éditoriale affirmée. En ce qui concerne le débat linéaire et numérique, Arte a joué un rôle de pionnier, étant la première chaîne de télévision à introduire le replay en 2007 avec Arte +7. Notre engagement s'est également manifesté à travers le développement de nombreuses offres telles que Arte Concert, ainsi que notre initiative précoce dans la production de contenus web. Nous sommes indubitablement des précurseurs dans le domaine numérique, anticipant l'importance de la plateformisation dès ses prémices. L'année dernière, Arte.tv a enregistré 2 milliards de vidéos vues, témoignant de notre empreinte numérique robuste.
Aujourd'hui, notre positionnement se structure autour de trois axes éditoriaux : l'antenne linéaire, la plateforme Arte.tv et notre présence sur les réseaux sociaux.
- Quels sont les atouts d’Arte ?
Je dirai un regard, un point de vue, une approche et une ambition européenne. C'est effectivement un enjeu, mais aussi un atout dans le sens où la spécificité d'Arte, qu'est sa vocation européenne depuis sa naissance, a permis d'aborder très tôt la question de la territorialité et des langues.
- Arte a initié un partenariat avec TikTok sur la diffusion du programme Viens on danse. Quels sont les points forts de cette collaboration ? Est-ce que le paysage de la diffusion aujourd’hui rend la distribution de chaque contenu unique ?
Il s'agit de notre troisième bouquet d'offres axé sur les réseaux sociaux. Notre approche consiste véritablement à concevoir des formats adaptés à la spécificité de chaque réseau social. Nous avons toujours considéré YouTube comme un réseau social, et notre présence sur cette plateforme remonte à bien longtemps. Cependant, nous avons naturellement élargi notre offre en incluant Facebook, TikTok, Twitch, Instagram et Snapchat.
Pour répondre à votre question, TikTok est effectivement l'un d'entre eux, bien que je ne dirais pas qu'il soit privilégié par rapport aux autres. Nous appréhendons ces espaces de création en y appliquant notre approche éditoriale. Nous nous adaptons simplement au réseau de diffusion en proposant des formats différents, que ce soit en termes de taille, de durée, ou de contenu. Les réseaux sociaux représentent véritablement un espace de recherche et de création pour nous.
- En continuant sur ce sujet, quelles peuvent être les relations entre chaînes de télévision et réseaux sociaux ?
Nous pouvons effectivement envisager divers cas de figure. Certains programmes ont été déclinés sous différentes formes. Il existe également une distinction entre les réseaux sociaux, Youtube étant une plateforme quelque peu singulière. En effet, Youtube est essentiellement une plateforme de diffusion pour nous, avec une durée de visualisation de plus en plus étendue. Nous gérons 15 chaînes, chacune dédiée à des thématiques spécifiques qui rencontrent un grand succès. C'est là que la notion de thématique éditoriale par réseau social devient apparente. Par exemple, les contenus d'histoire prospèrent sur Youtube, tout comme la science.
Quant aux réseaux sociaux, il y a une partie de notre contenu qui peut être liée à ce qui est diffusé à la télévision, mais nous produisons également beaucoup de contenus originaux exclusivement pour le web. Sur Instagram, nous avons créé une série humoristique intitulée "Malaisant". De même, sur la plateforme Arte.tv, notre offre ne se limite pas à ce qui est diffusé à la télévision. Sur les 8000 programmes que nous proposons, environ 30 à 35% sont des programmes diffusés à l'antenne. Les autres sont soit spécifiquement acquis pour le web afin de compléter des cycles autour d'un réalisateur de cinéma, de présenter l'intégralité de sa filmographie, ses courts-métrages, ou des compléments documentaires.
Nous investissons également dans des productions originales dédiées au web. Sur les réseaux sociaux, nous utilisons de plus en plus de formats spécifiques. Par exemple, sur Twitch, nous créons des émissions liées à des programmes scientifiques, avec des scientifiques participant à des lancements ou débats. Ainsi, il peut y avoir un lien, mais cela peut également être une création indépendante. Nous sommes réellement en phase d'expérimentation, y compris dans le domaine des jeux vidéo, qui deviennent une des déclinaisons de notre chaîne.
- Quelles seront, selon vous, les tendances générales pour la télévision en 2024 en France ? Et quelle est selon vous la plus grande opportunité pour la TV ces prochaines années ?
Lorsque nous abordons le sujet de la télévision, il est incontournable de distinguer la télévision linéaire et non linéaire, car pour nous, elle englobe les deux. Les grandes tendances actuelles montrent une intensification des batailles pour capter l'attention, avec des frontières de plus en plus floues entre les plateformes et les chaînes télévisées. On observe clairement un mouvement vers la plateformisation des chaînes télévisées, une dynamique à laquelle nous sommes engagés depuis un certain temps. Le lancement récent de TF1+ en début d'année prochaine en est un exemple, démontrant une offre numérique croissante.
Des acteurs tels qu'Amazon s'approchent de plus en plus de la distribution de chaînes de télévision, une tendance également observée avec les téléviseurs connectés. À terme, cela pourrait même inclure l'édition de chaînes, notamment avec l'émergence des fast TV. Nous assistons donc à un mouvement où chaque acteur explore les territoires initiaux de l'autre, constituant une tendance significative.
Une autre tendance majeure réside dans la bataille entre les offres payantes et les offres gratuites financées par la publicité, soulevant d'importantes questions sur les modèles économiques qui les sous-tendent. En outre, l'intelligence artificielle jouera un rôle central, avec une question cruciale sur la manière dont ces acteurs s'approprient cette technologie. Est-ce que ce seront les plateformes qui en tireront le meilleur parti, ou les chaînes parviendront-elles à l'intégrer efficacement ? Ainsi, l'appropriation de l'intelligence artificielle sera un sujet central pour l'année 2024.
- Vous êtes aussi coordinatrice RSE : quel lien faites-vous entre ces engagements et la stratégie globale du groupe ?
Il existe un lien particulièrement fort, renforcé par le projet de groupe couvrant la période de 2021 à 2024, qui comporte cinq axes de développement, dont un axe dédié à la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Cette orientation a des répercussions significatives sur l'antenne à trois niveaux distincts. Tout d'abord, il englobe les aspects sociaux, influençant les programmes diffusés en termes de représentation de la diversité sociétale à l'écran et prêtant une attention particulière à la parité et à la diversité, tant devant que derrière la caméra. La mise en place d'outils dédiés, les discussions en commission de programme, et les choix opérationnels en découlent.
Au niveau environnemental, la RSE intègre la dimension de l'éco-production audiovisuelle, un domaine dans lequel notre implication en tant que chaîne financière de programmes joue un rôle essentiel. L'impact environnemental de la production numérique et de la diffusion numérique est également pris en compte, incitant à des choix opérationnels tels que le développement technique et l'adoption de matériel plus économe en énergie. La durée d'utilisation est également scrutée de près. La RSE s'étend également à la formation interne, sensibilisant les collaborateurs aux enjeux sociaux et environnementaux.
Cette politique RSE a des impacts opérationnels directs et s'inscrit de plus en plus dans un cadre de reporting. Ainsi, avec la directive Csrd, nous sommes amenés à produire un rapport de durabilité combinant les impacts publics et financiers. Ce rapport identifiera, dans notre bilan comptable, les investissements favorables ou potentiellement nocifs pour l'environnement. La RSE, comparable à la diffusion du numérique il y a quelques années, s'est généralisée et imprègne désormais tous les services de l'entreprise. Par conséquent, il est logique de l'inclure dans la motivation des projets transverses, car elle influence l'ensemble de l'entreprise.
- Comment intégrez- vous les téléspectateurs d' Arte dans vos choix éditoriaux et décisions plus stratégiques ?
Alors, je ne dirais pas que nous n'intégrons pas les téléspectateurs d'Arte dans nos choix éditoriaux, mais Arte est véritablement une chaîne d'offres, et non une chaîne répondant simplement à la demande. Nous ne basculons pas vers une approche où l'on se demande ce que le public d'Arte aurait envie de voir, et ajustons nos programmes en conséquence. Notre ligne éditoriale est ancrée dans l'identité même de la chaîne et dans sa mission de rapprocher les peuples en Europe. C'est cela qui nous guide.
Bien entendu, nous entretenons d'autres liens avec le public et nous interagissons activement avec lui, notamment à travers les réseaux sociaux. Nous favorisons les conversations et les échanges. Cependant, notre démarche n'est pas de permettre au public de dicter les choix éditoriaux de la chaîne.
- Arte est souvent cité en exemple par les étudiants. Quel est le public d’Arte ?
Le public d'Arte constitue une somme diversifiée d'audiences à travers son bouquet d'offres éditoriales. Sur la chaîne de télévision linéaire, la majeure partie de notre public a une moyenne d'âge d'environ 65 ans, reflétant la tendance générale des téléspectateurs de ce média. En revanche, sur des plateformes telles que TikTok et Twitch, la moyenne d'âge tourne plutôt autour de 35 ans, tandis que sur la plateforme Arte.tv, elle avoisine les 50 ans. Ces données sont des moyennes, et il est important de souligner que l'âge moyen varie en fonction des réseaux sociaux spécifiques, influençant ainsi la composition de notre audience.
Sur Snapchat, par exemple, où nous avons une présence marquée, nous touchons un public plutôt jeune, correspondant à la moyenne d'âge de cette plateforme. En résumé, il n'y a pas un seul type de téléspectateur d'Arte, mais plutôt une multitude d'audiences, chacune ayant ses propres caractéristiques en fonction des plateformes utilisées.