Elle a débuté comme scripte avant de devenir réalisatrice multicam et de créer sa société ACT4 Productions, nous vous présentons Alexandra Clément !
Parlez-nous du métier de réalisatrice multicam
Le multicam est une méthode de production télévisuelle spécifique, distincte du cinéma, de la fiction ou du documentaire. Dans ces derniers, l'équipe est généralement réduite, comprenant un chef opérateur, un ingénieur du son, peut-être un perchman, et parfois un assistant si le budget le permet. En revanche, des événements comme les Molières mobilisent environ 200 techniciens. Les échelles de production diffèrent, tant en termes de personnel que de durée.
Le multicam implique nécessairement un car régie, car il est utilisé en direct ou en conditions de direct. Cette configuration regroupe divers postes dans un même lieu. Par exemple, un directeur photo crée la lumière sur le plateau, tandis qu'un ingénieur vision retranscrit cette lumière depuis le car, en suivant les instructions du réalisateur qui annonce les changements de caméra.
Mon travail commence par la détermination des emplacements de caméra, essentielle pour anticiper le découpage, contrairement au cinéma où les plans sont filmés séquentiellement. En télévision, tous les plans sont capturés simultanément. Pour une captation, comme un concert d'opéra, je dois minimiser les déplacements des caméras lourdes et prendre en compte l'audience présente.
La réalisation multicam exige de visualiser à l'avance les plans nécessaires, même sans connaître l'histoire de A à Z, comme dans le divertissement. Le plan de caméra est crucial dès le départ car il conditionne toute la suite. Contrairement à la fiction où l'on peut ajuster les plans, le direct ne permet pas de revenir en arrière. Cela illustre bien la différence fondamentale entre les métiers de réalisation en monocam et multicam.
Est-ce plus facile de réaliser un programme en multicam lors d'un direct, ou est-ce plus simple de pouvoir monter un programme en choisissant les plans pris par les différentes caméras ?
Je pense que tous les réalisateurs de multicam ont les deux options en tête. Même en réalisant en multicam avec du montage ultérieur, on pense déjà à la réalisation en temps réel. C'est ainsi que je travaille.
Que ce soit diffusé en direct ou non, je réalise toujours en direct. Par exemple, pour une messe en direct, il n'y a pas de montage : tout doit être parfait du premier coup. L'intensité du direct est plus forte, car on sait qu'on ne pourra rien rattraper. Cependant, je mets la même intensité dans tout ce que je fais.
Les réalisateurs contemporains que je connais, comme Jérôme Revon, réfléchissent également de cette manière. La fameuse phrase "on réglera ça en montage" est une illusion. Si on pense ainsi, c’est qu’on risque de ne pas avoir le plan nécessaire au montage.
Il est préférable de partir du principe qu'on n'a qu'une seule prise et qu'il faut se concentrer au maximum. Ce qui est raté sera difficilement récupérable, sauf si une caméra a filmé quelque chose d'exploitable par hasard. En général, en multicam, 90 % du montage est déjà fait.
J'ai été scripte sur des courts-métrages, notamment pour James HUTH, un grand réalisateur de films. Le rythme est totalement différent. Comparer la réalisation en multicam à celle en cinéma, c’est comme comparer la préparation d'une entrée à celle d'un dessert : cela se passe en cuisine, mais ce n’est pas du tout la même chose.
Très peu de techniciens travaillent dans les deux domaines. Par exemple, sur les Molières, une steadicameuse faisait son premier direct en multicam, étant plus habituée à la fiction. Ces métiers sont très différents.
Il y a aussi très peu d'ingénieurs du son qui travaillent à la fois en fiction et en multicam, car ce sont des métiers distincts. Même si le nom du métier reste le même, les compétences requises diffèrent. Idem pour les scriptes : je ne connais qu'une seule personne, Johanne Séguin, qui fait les deux. Ce sont vraiment des métiers trop différents.
Et pourquoi avoir choisi le multicam ? Qu'est-ce qui vous a amené ?
Tout d'abord, c'est une question d'opportunité. De plus, je pense que le multicam correspond mieux à mon caractère. J'apprécie ce côté "one-shot" et l'urgence de raconter une histoire en une heure et demie. Cette concentration intense me convient parfaitement.
Cela dit, je ne ferme pas la porte à la fiction, car je suis en train de développer des projets dans ce domaine. Mais le multicam m'est venu plus naturellement. Mon premier stage a été sur le tournage de "Santa Barbara" à Los Angeles, dans les studios de NBC, qui utilisait déjà le multicam. J'ai tout de suite été séduite par ce format.
Quand j'ai été scripte pour le court-métrage de James, le rythme m'a semblé très différent, presque trop lent pour moi. J'étais plus habituée à la rapidité et à l'urgence du multicam. Même si les processus en fiction ont évolué, les rythmes restent distincts.
Le rythme du multicam me convient mieux. Il y a un aspect presque militaire dans le multicam : tant de personnes se rassemblent pour un projet unique à un instant T, ce qui exige une organisation rigoureuse et une coordination précise. Cette approche structurée, presque militaire, me correspond bien. J'aime cette organisation et ce leadership, qui est essentiel pour faire avancer l'équipe.
Est-ce que vous devez être en connaissance de ce qui va se passer exactement lors d'un événement ?
Je vais bientôt capter le concert de KHATIA BUNIATISHVILI aux Chorégies d'Orange, le 29 juin. Pour me préparer, je vais écouter attentivement le line-up des morceaux joués, c’est une soirée Tchaïkovski. Étant pianiste de formation, cela m'aide énormément. Je vais étudier la musique et les partitions pour prédéfinir ce que je veux filmer, comme un scénario musical.
C'est à la fois technique et sensible. Par exemple, je pourrais choisir de filmer les contrebasses au lieu des hautbois en fonction de mon ressenti. De plus, les interprètes et le chef d'orchestre peuvent avoir leurs propres préférences, ce qui influence mes choix. Il faut donc être réactif et ouvert.
Chaque captation est unique, comme un pilote. Contrairement aux jeux télévisés ou aux magazines, où le format se répète, chaque spectacle vivant est un objet unique. Par exemple, une captation d'opéra, même si c'est la 28e Traviata en 10 ans, reste unique. De même, les messes du dimanche matin que je réalise sont toutes différentes : chaque église, équipe pastorale et prêtres varient, malgré un scénario liturgique établi.
En résumé, je travaille sur des objets uniques plutôt que sur des formats répétitifs. C'est une autre approche du multicam.
Quelles seraient les qualités à avoir pour faire du multicam ?
Lorsqu'on parle de réalisation en direct, il faut aborder le stress intense qui l'accompagne. Pour moi, le multicam trouve son équivalent le plus proche dans la réalisation des matchs de football.
Dans un match de football, il y a un lieu défini et des acteurs, les joueurs de football, mais l'issue de la rencontre reste imprévisible. Ne pas céder à la peur et rester concentré est essentiel. Les réalisateurs de football possèdent ces compétences : ils parviennent à inscrire leur vision dans l'événement.
Certes, cela peut sembler moins artistique, mais il y a tout de même des choix éditoriaux à faire, notamment sur les ralentis et sur quels joueurs suivre. Il faut aussi avoir une connaissance approfondie du jeu pour anticiper les attaques, les mouvements et les passes. C'est une véritable culture en soi.
Cette expérience exige une intensité et une attention constantes, ainsi qu'une capacité à diriger les caméras de manière fluide. Dans le contexte du multicam, cela représente un bel exemple d'un objet unique s'inscrivant dans une culture générale. C'est un aspect très intéressant à considérer.
Est-ce que techniquement vous connaissez toutes les caméras et leurs objectifs ?
Je possède une connaissance globale de tous les métiers de ce domaine. J'ai eu la chance de commencer comme scripte, ce qui m'a permis d'acquérir une compréhension approfondie de chaque corps de métier au sein de l'équipe de réalisation. Ainsi, quand un directeur photo, un ingénieur du son ou un ingénieur vision m'adresse la parole, je comprends leur langage et leurs besoins. C'est une véritable chance de pouvoir collaborer avec tous ces professionnels.
Cette capacité est essentielle pour un réalisateur, car il est le chef d'orchestre de l'équipe. S'il ne comprend pas chaque aspect technique et n'est pas capable de dialoguer avec chaque membre de l'équipe, cela devient compliqué. Au-delà de la connaissance technique spécifique à chaque équipement, ce qui est crucial, c'est la curiosité. En tant que professionnels, nous sommes naturellement curieux et avons un appétit pour apprendre.
Pour moi, un réalisateur doit être capable de communiquer efficacement avec tous les techniciens, d'exprimer ses désirs et de les transmettre. Il doit savoir s'adresser à un chef machino, discuter avec un chef électro et stimuler les équipes avec des idées innovantes. Il est également essentiel de bien communiquer avec les cadreurs, car ils sont nos yeux sur le plateau. Sans une communication claire avec eux, le travail du réalisateur devient extrêmement difficile.
Et vous, vous avez toujours la même équipe ?
Non, pas du tout. Je pense que notre métier est avant tout une rencontre. Il ne faut pas se confiner dans une équipe, mais au contraire, être ouvert à accueillir de nouveaux talents. On ne sait jamais quand on fera une découverte incroyable et qu'on rencontrera quelqu'un de tellement talentueux qu'on aura envie de collaborer avec lui sur de nombreux projets.
Notre métier est profondément humain, à tous les niveaux. Très, très humain.
Et est-ce que vous avez déjà collaboré avec d'autres réalisateurs ou réalisatrices multicam pour un même projet ?
Dans le monde du multicam, il y a toujours un capitaine à bord. La collaboration entre réalisateurs est rare, voire inexistante.
Dans le cas des captations de spectacles vivants, comme les opéras, les pièces de théâtre ou même les one-man-shows, il y a souvent une coopération avec le metteur en scène. Cette collaboration implique des discussions en amont pour s'assurer que la vision du réalisateur s'aligne avec la mise en scène de l'événement.
En tant que réalisatrice, je considère avant tout être la première spectatrice. Mon rôle est de capturer ce que le public aimerait voir, tout en restant fidèle à la dramaturgie de l'événement. Bien que je puisse parfois proposer des angles différents ou des perspectives alternatives, je reste toujours ancrée dans l'essence même de la performance. C'est une forme de co-création où le réalisateur apporte sa vision tout en respectant l'œuvre originale.
Vous appartenez au cercle encore trop petit des réalisatrices multicam, quel est votre avis là dessus ?
En France, le domaine du multicam reste largement dominé par les hommes. Contrairement à la fiction et au documentaire, où le CNC a grandement favorisé l'émergence de réalisatrices, le multicam, en dehors du spectacle vivant, demeure encore flou en termes de parité.
La volonté de promouvoir les femmes dans ces postes technico-artistiques n'est pas encore aussi forte, en partie parce que la plupart des réalisateurs, notamment de la génération de Jérôme Revon, ont émergé du milieu sportif, notamment du football, et de Canal+. Cette absence de représentation féminine est en train de changer, avec une dizaine de femmes réalisatrices émergentes.
Parmi elles, on compte Louise Narboni et Isabelle Julien dans le spectacle vivant, captant des opéras, des pièces de théâtre, voire des spectacles de danse. Il y a également Pauline Sampic, qui travaille dans le domaine du magazine et Patricia Des Anges dans le jeu et le sport.
Cependant, il reste essentiel de continuer à encourager la présence féminine dans d'autres postes techniques, tels que l'ingénierie du son ou encore la direction de la photographie. Il est important de travailler en collaboration avec l'industrie pour identifier, soutenir et promouvoir les talents féminins dans ces domaines.
En tant que réalisatrice et productrice, je considère qu'il est de notre devoir de soutenir activement la présence des femmes dans ces domaines techniques. Il ne s'agit pas d'exclure les hommes, mais plutôt de rétablir un équilibre nécessaire et de valoriser les talents féminins qui existent déjà. Il suffit parfois de simplement exprimer le souhait d'avoir plus de femmes dans ces postes pour voir les choses évoluer dans la bonne direction. C'est une démarche enrichissante et positive pour l'ensemble de l'industrie.
Comment faire pour inciter les femmes à exercer ce genre de métier?
Je crois que c'est une volonté partagée, à la fois des diffuseurs et des producteurs, de favoriser l'ascension des femmes dans le domaine du multicam. La principale problématique réside dans le fait que l'apogée du multicam se trouve dans les divertissements de grande audience en prime time. Il est crucial de permettre aux femmes réalisatrices de travailler sur une variété de programmes multicam pour qu'elles puissent acquérir les compétences nécessaires pour les productions de premier plan.
Actuellement, les femmes sont souvent cantonnées à des productions considérées comme moins cruciales, comme les émissions magazine ou les captations de spectacles vivants. Mais pour réaliser un programme en prime time, il faut savoir maîtriser plusieurs genres. C'est pourquoi il est essentiel de les encourager à diversifier leurs expériences.
Par exemple, Isabelle Julien excelle dans la réalisation de musique, d'opéra et de danse. En lui proposant des projets dans d'autres domaines, comme les émissions magazine, on lui offre la possibilité d'élargir ses compétences, notamment en réalisant des interviews et en collaborant avec d'autres professionnels, tels que les graphistes et les habilleurs. Plus les femmes réalisatrices auront l'occasion de s'essayer à différents genres, plus elles seront en mesure de relever les défis des productions en prime time, qui exigent une palette de compétences étendue.
À titre personnel, je considère que nous aurons fait un grand pas en avant lorsque nous verrons une femme réaliser des émissions telles que Miss France, les Victoires de la Musique et la finale de la Coupe de France de football. Ces gros événements en prime time sont le symbole d'une génération de femmes réalisatrices qui ont acquis les compétences nécessaires pour mener à bien de tels projets.
Vous avez rejoint PFDM il y a quelques mois. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce choix et ce qu'il signifie pour vous ?
En fait, cette idée découle principalement de mes échanges avec Françoise Marchetti, qui est la présidente de PFDM.
Je suis convaincue que ces échanges sont essentiels pour pouvoir dialoguer avec d'autres femmes occupant des postes de direction ou de prise de décision dans notre secteur. Je tiens vraiment à cela...
Je trouve crucial que ces dix dernières années, nous ayons vu émerger à la télévision des exemples de femmes expertes, animatrices de JT, héroïnes, etc. C'est un premier pas très encourageant pour moi.
Et est-ce qu'il y a un projet en particulier que vous avez fait, qui vous a marqué ?
Chaque projet que j'entreprends apporte son lot d'excitation et de passion. Peu importe sa taille ou sa portée, chacun revêt une importance singulière. Pour moi, il n'y a pas de petits ou de grands projets, tous sont dignes d'intérêt.
Nous exerçons des métiers où la curiosité est essentielle. Chaque projet représente pour moi une source de joie, de défi et d'enthousiasme. Prendre part à la réalisation d'une messe me passionne autant que tout autre projet, car chaque expérience est enrichissante à sa manière.
Chaque projet offre une opportunité unique de rencontrer de nouvelles personnes, de repenser les choses de manière différente, et de collaborer avec intelligence et créativité. C'est là tout le bonheur de notre métier.