
Je m'appelle Cyril Travassac, je suis français et j'aurai 50 ans en 2025. J'ai suivi un parcours assez classique : après l'obtention de mon baccalauréat, j'ai intégré une faculté de cinéma où j'ai acquis des connaissances de manière théorique. Par la suite, j'ai poursuivi mes études à l'Institut International de l'Image et du Son, où j'ai appris plus concrètement les différents métiers de l'audiovisuel.
Comment as-tu commencé ta carrière dans l'audiovisuel ?
Pendant mes études, alors que j'étais en maîtrise, j'ai eu la chance de décrocher un stage dans une petite chaîne qui s'appelait Fun TV. C'était une chaîne partagée entre M6 et Fun Radio. À l'époque, Fun TV, c'était avant tout une radio filmée, avec des caméras posées un peu partout dans le studio. Mais au moment où je suis arrivé, il y avait du changement dans l'air : ils séparaient l'antenne radio de la télé et construisaient un vrai studio télé dans les sous-sols de M6, une copie conforme du studio radio.
J'ai commencé comme stagiaire cadreur fin 99 et, dès décembre, j'ai eu la chance de prendre la place d'un réalisateur qui partait. En janvier, j'étais officiellement réalisateur, avec une équipe jeune et hyper motivée. C'était une vraie aventure, car Fun TV ne ressemblait en rien aux chaînes traditionnelles. On a testé plein de trucs : des décors modulables, des émissions en direct en continu, tout ça avec des budgets serrés, mais énormément d'énergie et d'idées. On bossait de 10h à 22h, parfois même les week-ends, mais c'était une époque géniale, surtout avec le boom des chaînes du câble et du satellite en France.
C'est à ce moment-là qu'on nous a demandé d'adapter notre concept pour la matinale de M6, qui jusque-là diffusait principalement des clips. Et c'est comme ça qu'est né "Morning Live" début 2000. Le lancement a été un peu particulier : pendant l'été, on a testé plusieurs animateurs en direct, notamment Arnaud Gidoin et Mickaël Youn, pour voir qui accrocherait le mieux. Comme il y avait peu de monde devant la télé l'été, c'était l'occasion idéale pour faire des essais.
À côté de "Morning Live", je continuais de bosser sur Fun TV en journée, ce qui faisait des journées bien remplies. En parallèle, j'ai aussi collaboré avec Endemol sur la deuxième saison du Loft en réalisant le flux 24h/24. Après plusieurs années intenses, j'ai finalement quitté le groupe M6 en 2005, super content d'avoir vécu cette aventure incroyable.
Ensuite, j'ai rejoint France Télévisions, un peu comme un virage vers le service public. Et le plus drôle, c'est que je me suis retrouvé à bosser sur "Télématin", une émission où Mickaël et moi nous étions incrustés quelques années auparavant. Petit à petit, j'ai commencé à m'intéresser de plus en plus à l'actualité et à son traitement. Je voulais comprendre le monde différemment, avec un regard plus mûr, ce qui m'a donné envie de poursuivre dans cette voie
Peux-tu nous parler de ton expérience en Belgique ?
Quand mes parents ont déménagé de Paris à Lille, je me suis dit que c'était l'occasion d'aller voir ce qui se passait de l'autre côté de la frontière, à la RTBF. Comme quoi, certaines opportunités arrivent un peu par hasard, et les rencontres font souvent toute la différence dans un parcours pro. Finalement, la RTBF m'a rappelé à la fin de l'été 2006, et en septembre, je rejoignais l'équipe en tant que réalisateur du JT. Très vite, on m'a confié les émissions politiques, ce qui m'a permis de retravailler plusieurs fois les décors et l'habillage. J'ai aussi participé à la mise en place de nouveaux studios et exploré d'autres domaines, comme le sport, qui est ici très lié à l'info. J'ai toujours adoré la création, et la RTBF m'a offert la liberté de proposer des idées sur l'habillage et les décors, un peu comme je le faisais déjà à Fun TV. C'était vraiment gratifiant de sentir qu'on me faisait confiance dans ces domaines, et ça m'a permis de m'épanouir pleinement. Petit à petit, cette confiance m'a ouvert de nouvelles perspectives, notamment la possibilité de passer à un rôle de producteur.
Comment es-tu passé de réalisateur à producteur ?
Quand une opportunité de devenir producteur s'est présentée, je l'ai saisie sans hésiter. Pendant six ans, j'ai eu la chance de produire une grande variété de contenus pour la RTBF. À l'époque, les producteurs étaient plutôt spécialisés dans des genres bien définis comme le divertissement, les magazines, l'info ou le sport. Mais moi, j'ai réussi à toucher à plusieurs domaines, notamment la jeunesse et le divertissement. Ce qui est intéressant avec la RTBF, c'est qu'à la différence des chaînes françaises qui font appel à des producteurs externes, elle possède ses propres moyens de production : studios, équipes techniques, cadreurs... Cette autonomie est une vraie fierté pour le service public belge, qui reste beaucoup plus indépendant des prestataires extérieurs.
Ces six années ont été riches en expériences et m'ont permis de m'affirmer autant comme réalisateur que comme producteur. J'ai pu explorer différents univers, proposer des idées nouvelles et contribuer à faire évoluer la chaîne. Mon aventure en tant que producteur s'est terminée après 5 à 6 ans, avec les deux dernières années consacrées à "Viva for Life", une opération d'envergure en Belgique. Cet événement unique se déroule sur une semaine et mobilise pleinement les ressources de la RTBF en combinant radio, web et télévision.
Comment fonctionne l'opération Viva for Life ?
Pendant une semaine, une des radios de la RTBF, qui soutient l'opération sous le nom "IVA Cité", installe un cube de verre sur une place publique en Belgique. Trois animateurs s'y installent et animent une émission de radio 24 heures sur 24. C'est un véritable marathon de la solidarité, dont l'objectif est d'aider l'enfance en difficulté, notamment les familles en situation précaire ayant du mal à joindre les deux bouts. C'est une opération d'envergure nationale en Belgique, mobilisant d'importants moyens humains et financiers. L'antenne radio joue un rôle central, mais l'événement est également relayé en continu sur les réseaux sociaux et le web. L'événement est rythmé par plusieurs moments-clés, notamment un prime d'entrée marquant l'arrivée des animateurs dans le cube et un prime de sortie à la fin de la semaine. Chaque soir, des artistes viennent animer des plateaux et des concerts sont organisés sur la place publique. Un parrain est présent dès l'ouverture et jusqu'à la clôture de l'opération. Chaque soir, un rendez-vous en accès fait le point sur la journée, mettant en lumière des portraits de familles bénéficiaires et d'autres moments marquants. C'est une production majeure pour la RTBF, mobilisant tous ses moyens techniques et humains. J'ai eu la chance de travailler sur cette opération pendant deux ans, apportant mon expertise en production et contribuant à son succès en coordonnant les différentes équipes impliquées.
Comment es-tu arrivé dans la cellule recherche et développement ?
Après mon cycle de producteur, j'ai rejoint la cellule recherche et développement du pôle contenu, où je travaille actuellement. Ce changement est intervenu au moment où le modèle d'entreprise de la RTBF a évolué. Nous sommes passés d'une organisation en silo avec la radio, la télé et le web séparés, à une organisation divisée en deux pôles : le pôle médias et le pôle contenu. Le pôle contenu produit du contenu pour le pôle médias, qui le diffuse ensuite sur différents supports tels que la radio, la télévision ou le web. Dans cette organisation, mon rôle est similaire à ce qu'on pourrait trouver chez TF1 Prod pour un diffuseur intégré, ou chez un producteur indépendant comme Endemol. Nous sommes essentiellement des fournisseurs de contenu pour les chaînes de radio et du web, bien que nous travaillions principalement sur du contenu linéaire pour la télévision. En revanche, nous intervenons peu sur les émissions de radio, car elles sont considérées comme du flux et gérées directement par le pôle médias. Nous réalisons une veille permanente grâce à une personne dédiée au suivi international. Nous explorons toutes les tendances émergentes et analysons les émissions qui sortent sur les marchés comme le MIP à Cannes, en plus de scruter les newsletters et autres sources d'inspiration. Lorsque les chaînes expriment un besoin particulier, par exemple un jeu télévisé, je travaille à identifier les formats existants ou à en créer de nouveaux. Je discute avec elles pour affiner leur demande, qu'il s'agisse d'un jeu en prime time, d'un jeu d'accès ou d'un événementiel, afin de trouver la meilleure solution.
Privilégiez-vous l'achat ou la création de formats ?
Nous explorons à la fois l'acquisition de formats préexistants et la création de nouveaux formats en interne ou avec des partenaires indépendants. On analyse les formats existants, et nous décidons ensuite si nous devons acquérir une licence ou développer un format original. Notre objectif est de stimuler la création en interne et de favoriser le développement de jeunes créateurs belges ainsi que des producteurs indépendants locaux. Nous cherchons à proposer des contenus innovants qui répondent aux attentes du marché. Nous avons créé un label appelé "RTBF Créative", qui nous permet de présenter nos créations sur les marchés internationaux. Cela nous donne l'opportunité de vendre non seulement des émissions produites, mais aussi des formats sous forme de propriétés intellectuelles. Par exemple, nous avons vendu l'IP de "La Yourte" à TF1, à la suite d'une collaboration rapprochée avec la créatrice du format, Céline Vanden Eynde de Why Why Productions, même si le projet n'a finalement pas été concrétisé. Nous sommes satisfaits de l'accueil que reçoivent nos formats, avec plusieurs options en cours, notamment en France mais aussi dans d'autres pays. Cela démontre que notre travail de recherche et développement porte ses fruits.
Est-ce qu'il y a une évolution dans les ventes de créations ces dernières années ?
Nous vendons beaucoup de readymade, et les derniers chiffres montrent que nous sommes très performants dans ce domaine. Cependant, la vente de formats commence à se développer, mais à un rythme assez lent. Nous restons une structure relativement petite et jeune par rapport aux grands groupes bien établis. Nous devons avancer avec humilité, mais la perception du marché est encourageante et nous recevons de bonnes réponses. De plus en plus de prises d'options sont réalisées sur nos formats, ce qui est un signe positif. Notre objectif est de transformer ces prises d'options en succès concrets pour élargir la portée de nos créations à l'international. Nous avons déjà réussi à vendre certaines de nos productions à l'étranger, ce qui est une fierté pour un petit pays comme la Belgique, et encore plus pour la Belgique francophone. Convaincre des marchés comme la France n'est pas facile, mais nous avançons progressivement. Nous faisons face à des défis de taille, car nos moyens sont limités en comparaison avec ceux des grands diffuseurs français comme TF1, M6 ou France Télévisions. Nos budgets de production sont plus proches de ceux d'une chaîne TNT que d'une chaîne premium. Cela rend difficile la compétition à armes égales, mais nous misons sur notre capacité d'innovation et notre approche créative pour nous démarquer.
Quelle est la spécificité belge dans la création de formats ?
Notre force réside dans notre capacité à proposer des créations innovantes, avec un regard différent et une touche belge qui plaît au public. Nous essayons d'apporter des concepts originaux qui se distinguent des productions traditionnelles. "La Yourte" est un excellent exemple de notre approche créative. Développé pendant la période du Covid, ce programme répondait aux aspirations du public à quitter les villes pour s'installer à la campagne et adopter un mode de vie plus écologique. L'idée était de sensibiliser sans tomber dans un ton moralisateur, tout en proposant un contenu divertissant et accessible. Cette approche a séduit de nombreux diffuseurs, car elle aborde la problématique écologique de manière ludique et engageante. Nous cherchons continuellement à innover et à trouver de nouvelles façons de séduire les diffuseurs, en jouant sur notre agilité et notre capacité à proposer des idées différentes. Nous espérons poursuivre notre expansion à l'international tout en restant fidèles à notre identité et à notre approche unique. Le fait d'avoir une vision plus large du marché et de pouvoir identifier les tendances émergentes est très stimulant. Nous avons l'opportunité de repenser constamment les contenus et de proposer de nouvelles approches, ce qui est extrêmement motivant pour un créatif aujourd'hui.
Quelle est la place de l'intelligence artificielle dans ton quotidien ?
Je suis constamment en veille sur les outils d'intelligence artificielle, que je teste régulièrement pour mieux comprendre leur impact sur notre travail. Cela me permet de gagner du temps et de me concentrer sur des tâches plus stratégiques. L'IA m'aide à déléguer certaines tâches analytiques, mais elle ne remplace jamais mon processus créatif. Contrairement à l'idée répandue selon laquelle l'intelligence artificielle tuerait la créativité, je pense au contraire qu'elle est un formidable accélérateur. Ces outils, aussi performants soient-ils, restent des instruments au service de l'humain. Il existe encore beaucoup de méfiance et de scepticisme à l'égard de l'IA, souvent dus à une méconnaissance des outils disponibles. Il est essentiel de savoir les utiliser intelligemment et de manière maîtrisée. Lors de tests menés avec notre direction artistique, nous avons identifié certains biais dans les résultats fournis par des IA graphiques, ce qui nous pousse à rester vigilants lors de leur intégration. L'intelligence artificielle peut être un véritable allié pour la créativité, notamment dans les phases de brainstorming, en proposant des idées que nous pouvons ensuite affiner et développer. Cependant, elle ne peut pas créer à partir de rien : elle a besoin d'un cadre et d'orientations précises. J'ai par exemple demandé à un modèle de concevoir un concept original inspiré de "Mariés au premier regard" ; le résultat était quasiment identique à l'original. Cela démontre que l'IA peut aider, mais qu'elle ne remplace pas la vision humaine.Nous sommes à un tournant. L'intelligence artificielle évolue rapidement et il est essentiel d'anticiper son intégration dans nos processus de travail. Des solutions comme le sous-titrage ou le doublage automatisé peuvent nous ouvrir de nouvelles opportunités à l'international. De même, la création de mood boards et de trailers assistés par IA représente un gain de temps significatif.
Je dis souvent que l'IA n'est pas une baguette magique qui va transformer quiconque en magicien. C'est un outil puissant qui doit être maîtrisé pour travailler plus efficacement et multiplier les propositions. L'essentiel est d'adopter une approche ouverte, de comprendre ses opportunités et de ne pas craindre qu'elle prenne le dessus sur notre savoir-faire.