Peux-tu nous présenter ton parcours professionnel ?
Mon parcours a été guidé par des études de droit et d'art. Mon fil rouge, c'était d'accompagner les artistes, avec une forte valeur de justice qui me guide dans tout ce que j'ai fait. J'ai commencé ma carrière comme avocate en propriété intellectuelle, avec l'envie d'accompagner les créateurs, entre la France et les États-Unis. J'étais avocate aux Barreaux de New York et de Paris. Puis, j'ai travaillé dans les médias, notamment dans un cabinet d'avocats spécialisé en cinéma, avant de rejoindre YouTube, où je suis restée dix ans. En observant les défis rencontrés par les créatrices de contenu, qu'ils soient personnels (syndrome de l'imposteur) ou externes (sexisme, harcèlement en ligne), j'ai créé le programme "Elles font YouTube" pour les accompagner. Ce programme, lancé en 2016, existe toujours et a soutenu plus de 3 000 créatrices.
En 2020, ce qui devait être une année sabbatique a finalement donné naissance à ma société de production : Make Change. Nous sommes aujourd'hui une équipe de cinq personnes, produisant de la fiction, des documentaires, des podcasts et des webséries avec une ligne éditoriale engagée. Nous visons à sensibiliser sur des thèmes tels que l'égalité femmes-hommes, la diversité, l'inclusion, l'environnement, la santé mentale, toujours avec un ton positif.
Y a-t-il encore un lien entre YouTube et ta société de production ?
Non, aucun lien direct n'existe entre YouTube et Make Change. Lorsque j'étais chez YouTube, j'ai participé à la production de contenus originaux, comme les séries Groom ou Les Emmerdeurs, mais cette activité s'est arrêtée. La question de créer une société pour produire spécifiquement sur YouTube ne s'est donc pas posée. Aujourd'hui, nous diffusons nos contenus sur diverses plateformes : YouTube, Instagram, TV5MONDE+ et le média Tilt de l'Agence Française du Développement. Cette diversité nous permet de toucher un public international, en phase avec nos valeurs d'ouverture et de sensibilisation. Nous produisons majoritairement en français, avec des sous-titres dans plusieurs langues pour atteindre un public plus large.
Pourquoi ne pas avoir choisi de produire des youtubeuses du programme "Elles font YouTube" ?
Certaines créatrices sont venues à moi pour être produites, mais je n'ai jamais cherché activement des talents parmi les plus connus. Ce qui me motive, c'est l'impact et le sens des contenus. J'ai préféré accompagner des talents émergents, avec des projets porteurs de sens, plutôt que de travailler avec de grosses communautés sans affinités avec mes valeurs. J'ai d'ailleurs décliné des collaborations avec des influenceurs très connus si leurs contenus ne correspondaient pas à mes convictions. Certains sont ouverts à l'idée de créer des contenus engagés, d'autres non. Je pense qu'il est essentiel de respecter la vision des créateurs. Par exemple, avec des youtubeuses beauté, on peut imaginer des programmes autour de la confiance en soi ou de l'entrepreneuriat, si cela correspond à leur univers. L'important est de ne pas forcer un talent à suivre une direction qui ne lui ressemble pas.
Comment s'est déroulée la transition entre YouTube et la création de Make Change ?
Après YouTube, j'avais prévu une année sabbatique, mais j'ai continué à conseiller des talents. En 2020, j'ai décidé de lancer Make Change, en même temps que j'écrivais mon livre. Le premier confinement a rapidement suivi, mais malgré les défis, nous avons réussi à nouer des partenariats et à faire grandir la société.
L'impact du confinement a-t-il influencé tes choix professionnels ?
Pas vraiment sur la décision de lancer la société. Même si le contexte était difficile, nous avons su nous adapter. Nous avons développé des partenariats solides et continué à produire du contenu, notamment en travaillant avec des marques et en développant des campagnes d'influence.
As-tu constaté une évolution dans l'ouverture des diffuseurs aux contenus engagés ?
Oui, clairement. Quand j'ai commencé, le terme "impact" était peu utilisé. Aujourd'hui, il est au cœur des discussions. Nous produisons des contenus porteurs de sens, accompagnés de campagnes de sensibilisation. Par exemple, notre série S.P.O.R.T.I.V.E sur l'égalité femmes-hommes dans le sport est déployée dans 45 universités avec des kits pédagogiques. Cette approche est de plus en plus valorisée par les diffuseurs. Nous proposons également des formations dans des associations, universités et entreprises. Nous abordons des thèmes comme le leadership féminin, la confiance en soi, le syndrome de l'imposteur, le personal branding. Ces formations sont en lien direct avec nos productions, car elles visent à accompagner les talents à exprimer leur plein potentiel. J'ai aussi écrit un livre sur ces sujets : Affirmées, Libérées, publié aux Éditions Solar.
Peux-tu nous parler de l'organisation de Make Change et de ton rôle au sein de l'équipe ?
Avec plaisir. J'ai fondé Make Change il y a presque cinq ans. Nous sommes une équipe de cinq personnes. Camille Lacharmoise est directrice de production et responsable du développement, Julie Manoukian est également directrice de production, Soizic Floch est chargée de communication et des campagnes d'impact, et Amélie Coispel est conceptrice éditoriale. Nous partageons des valeurs communes et une vision éditoriale engagée.
Mon rôle est très varié : je m'implique dans la stratégie éditoriale, le développement des projets, la recherche de financements, la supervision des productions et des campagnes d'impact. Je suis à la fois productrice artistique, déléguée et exécutive, avec un engagement fort dans l'accompagnement des talents et la cohérence des contenus. Pendant longtemps, les projets venaient principalement de talents qui nous sollicitaient. Aujourd'hui, nous continuons à accompagner des talents, mais nous initions aussi nos propres projets. Nous aimons transformer des idées brutes en contenus concrets et engagés, que ce soit en collaboration avec des créateurs ou à partir de nos propres réflexions.
Comment se déroule une journée type dans ton rôle de productrice ?
Chaque journée est différente, mais je peux donner un exemple. Ce matin, j'ai eu un appel avec une chaîne pour discuter de deux séries : nous avons parlé de stratégie éditoriale, de financement et d'angle de narration. Ensuite, j'ai préparé des dossiers pour le festival de documentaires FIPADOC, et pour un autre festival où deux de nos séries sont en compétition. J'ai également eu des échanges avec des créateurs de podcasts et des réalisatrices sur des projets en cours. Mon rôle couvre l'ensemble du cycle de vie des projets, de l'idée à la diffusion, en passant par la production et les campagnes d'impact.
Quelle est ta vision de l'intelligence artificielle dans ton métier ?
C'est un outil intéressant, mais à utiliser avec responsabilité. Nous faisons attention à son impact environnemental et à l'intégrité intellectuelle. L'IA peut être utile, mais elle ne remplacera jamais la pertinence et la créativité humaine, essentielles pour des contenus porteurs de sens.